Une chose est sûre : les Algériens sont globalement d'accord pour dire que la Télévision nationale a grandement besoin d'un « lifting ». Ou carrément « d'une refonte, d'une ouverture ». Certains reconnaissent d'ailleurs ne jamais zapper du côté de l'ENTV. Affublant cette dernière de nombre de quolibets : « el yatima » (l'orpheline), « el mouhatama » (l'imposée), nos concitoyens ne sont jamais à court de boutades à son sujet. « La touche pour Alger est rouillée à force de ne jamais servir », lance un jeune homme dans un éclat de rire. « Plus sérieusement, il m'est physiquement impossible de rester devant les programmes de notre Unique sans risquer l'apoplexie. Ou, pire, sans sentir en moi une soudaine envie de jeter un objet vers ma télévision », ironise l'étudiant. Et les réactions sont d'autant plus violentes lorsqu'il est question d'actualités et de politique. « L'ENTV fait dans la désinformation, pas dans l'information. Elle est d'une ringardise qui frôle l'obsolète et est tout simplement révélatrice d'un pays sous-développé », s'exclame un quinquagénaire en pleine lecture d'un journal. « Il n'y a aucun débat, pas d'opinions contradictoires et tout n'est qu'à sens unique. L'on tente de noyer les Algériens dans la démagogie et dans la langue de bois », déplore-t-il. Celui-ci n'est d'ailleurs pas le seul à s'en prendre aussi vertement aux canaux officiels algériens. « Nous sommes obligés de nous rabattre sur d'autres chaînes étrangères, afin de savoir ce qui se passe vraiment dans notre pays », s'emporte une jeune femme. « Ils se complaisent dans le "tout va bien, Madame la marquise". Pourtant, les Algériens ont tout le loisir de confronter les belles images relayées par cette chaîne avec la réalité dans laquelle ils vivent ! », s'indigne le quinquagénaire. Et ce fossé entre « la fiction cathodique » et « la vraie vie » ne peut que créer un malaise au sein de la population. « Le football… et encore ! » « Imaginez les personnes qui ne regardent que l'ENTV », avance un cadre dans le secteur public. « Il n'est question que de beaux logements neufs, de réformes et d'amélioration dans tous les domaines, de séminaires et autres colloques luxueux. Rien de moins que la "belle vie" dans un "beau pays" », poursuit-il. « Et vous, vous vivez dans la misère, dans un appartement insalubre, vos enfants sont chômeurs et vous tentez tant bien que mal de survivre. Que ressentir si ce n'est de la culpabilité parce que vous n'avez pas réussi, alors que le reste du pays vit dans l'opulence ! », analyse le quadragénaire. Dans les reproches émis par les téléspectateurs, tout le monde en prend pour son grade. Quid de la qualité ? « Médiocre. Pourtant, ils en ont les moyens et les compétences existent. De plus, leurs programmes ne sont pas faits pour atteindre la "masse populaire". Les présentateurs et autres animateurs parlent un arabe qui n'est pas le nôtre. Rares sont ceux qui comprennent tout », critique sévèrement un jeune homme. « La seule chose que je regarde sur l'ENTV, c'est la météo », conclut-il, ajoutant dans un sourire : « Et encore, juste lorsque le lendemain j'escompte aller à la pêche ! » L'on aura donc compris que la télévision « made in Algeria » ne fait pas l'unanimité. Excepté durant une période de l'année : le mois de Ramadan. « Le ftour et la sahra sont les seuls moments où toute la famille est unanime et que personne ne râle », d'affirmer une mère de famille. Sa fille, abondant dans son sens, poursuit : « Et puis, ils sont plutôt sympas les divertissements et autres émissions sur l'ENTV. Mais c'est vraiment tout ! » Car le désormais « bouquet », après avoir eu à souffrir de la concurrence des chaînes paraboliques, à plus forte raison françaises, voit aujourd'hui son audience en berne au profit des bouquets satellitaires arabes et orientaux. Séries turques, feuilletons syriens, variétés libanaises ou talk-shows tunisiens font le bonheur des Algériens, tous âges et sexes confondus, « lassés des films éculés égyptiens ou mexicains ». Cependant, il reste toujours à la chaîne nationale le sport, le football en particulier, dont elle a d'ailleurs fait son cheval de bataille afin d'attirer les foules. « Et encore, c'est toujours mieux sur El Djazeera Sport », tempère une jeune fille en haussant les épaules.
