Arrêté pour s'être exprimé sur les réseaux sociaux sur le procès et le jugement de citoyens de Ghardaïa pour une affaire d'homicide, Kamel Eddine Fekhar a été placé, le 31 mars dernier, en détention provisoire, avant même, a expliqué son avocat, Me Debouz, son audition sur les faits qui lui étaient reprochés. Il était avec son compagnon, Hadj Brahim Aouf, président de la section Ghardaïa du CLA (Conseil des Lycées d'Algérie), qui est lui aussi en grève de la faim dans une prison à Ghardaïa. Pour contester cette incarcération, les deux hommes entament une grève de la faim et se laissent mourir à petit feu dans leurs cellules. Après 40 jours, l'état de santé de Fekhar s'est dangereusement détérioré. Mais cela n'a pas pour autant fait fléchir la décision du juge de les maintenir en prison, en dépit des demandes de mise en liberté déposées par ses avocats. En tant que médecin, Fekhar connaissait parfaitement les dangers qu'il encourait, mais sa détermination à refuser d'être incarcéré était plus forte. Pour lui, la parole et l'idée ne peuvent en aucun cas être un crime. Il s'en est allé en laissant son ami Hadj Brahim Aouf sous la menace d'une mort certaine en prison. La fin dramatique et douloureuse de ce médecin, dévoué au combat pour les droits de l'homme, nous rappelle le sort du journaliste-blogueur Mohamed Tamalt, arrêté le 27 juin 2016 et placé en détention par le juge du tribunal de Sidi M'hamed, à Alger, pour des écrits publiés sur les réseaux sociaux et dont le contenu a été qualifié d'«offense aux institutions et au président de la République». Tout comme le défunt Fekhar, Mohamed Tamalt n'a jamais accepté sa détention à El Harrach. Il le fait savoir au juge par une grève de la faim de 53 jours, qui l'a plongé dans un coma profond de près de quatre mois, aux conséquences fatales. Ses avocats n'ont cessé de réclamer sa libération pour des raisons de santé, en vain. Tamalt est mort au pavillon pénitentiaire de l'hôpital Liamine Debaghine, de Bab El Oued, à Alger, le 11 décembre 2016. Des mois après, son avocat, Me Bachir Mechri, dépose plainte contre le ministre de la Justice de l'époque, Tayeb Louh, l'accusant d'«homicide». Pour l'avocat, le garde des Sceaux «est pénalement responsable» de la mort de Mohamed Tamalt, mais à ce jour, aucune suite n'a été donnée à la plainte. Aujourd'hui, un autre homme, le général à retraite Hocine Benhadid, placé en détention à El Harrach, risque de connaître le même sort que les défunts Fekhar et de Tamalt. Incarcéré le 12 mai, pour avoir publié le 25 avril 2019, sur les colonnes d'El Watan, une lettre adressée au vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah, dans laquelle il lui propose des solutions à la crise politique que traverse le pays, le général Benhadid a été incarcéré à la prison d'El Harrach, en dépit de la dégradation de son état de santé. Affecté par de lourdes maladies qui l'ont cloué sur une chaise roulante et réduit sensiblement son immunité. Dans son cas, les conditions d'incarcération risquent d'affaiblir gravement son immunité, voire provoquer l'arrêt d'un de ses organes vitaux. Malgré l'extrême fragilité de son état de santé, la chambre d'accusation a rejeté sa demande de mise en liberté. Le même refus est notifié aux avocats de la secrétaire générale du PT (Parti des travailleurs), Louisa Hanoune, placée en détention par le tribunal militaire de Blida le 9 mai, pour «complot contre l'autorité de l'Etat et de l'armée», pour avoir exercé son rôle de chef d'un parti politique, consacré par la Constitution. Malgré les lourdes maladies qu'elle traîne et son parcours de militante engagée durant plus de 40 ans pour l'Algérie, Louisa Hanoune a été privée de sa liberté et maintenue en détention dans des conditions qui risquent d'affecter encore plus son état de santé. Non isolés, les cas sus-cités posent sérieusement la problématique de la détention provisoire, une mesure exceptionnelle, devenue par la volonté des juges la règle générale. Me Miloud Brahimi dénonce «un recours abusif» au mandat de dépôt, en rappelant que le code de procédure pénale «ne prévoit la détention qu'en cas de faits très graves. Elle sert à protéger les moyens de preuve de l'infraction et est appliquée lorsque le prévenu n'offre pas de garanties pour sa présentation». Pour l'avocat, les juges abusent de cette mesure plus par habitude. La détention est ordonnée en violation du code de procédure pénale. Il ne s'agit plus de détention provisoire mais de condamnation provisoire. Bien plus grave. Pour le cas de Fekhar, c'est une condamnation à mort. Les responsables doivent être poursuivis».