Au Caire, on écoute Washington, sinon on revoit les cartes pour une meilleure réadaptation du régime en place. Hosni Moubarak, président de l'Egypte depuis 1981, soit depuis 24 ans, cédera-t-il à ses « ennemis jurés » de l'opposition ? Les pressions de l'Administration Bush, depuis que les Etats-Unis ont décidé de semer la démocratie à travers le monde, sont-elles prises au sérieux par Moubarak ? En tout cas et pour la première fois depuis qu'il a accédé au pouvoir, le chef de l'Etat égyptien décide d'ouvrir le champ politique à l'opposition, jusque-là bâillonnée et mise à l'écart. Moubarak a, en effet, annoncé le 26 février dernier qu'il réformera la Constitution du pays pour qu'elle permette les candidatures multiples à l'élection présidentielle. Autrement dit, c'est « donner la possibilité aux partis politiques de participer à l'élection présidentielle et de fournir des garanties permettant de présenter plus d'un candidat à la présidence afin que le peuple choisisse librement parmi eux ». C'est là l'explication du premier responsable égyptien. Le système suivi jusque-là repose sur une candidature choisie par le Parlement dominé par le Parti national démocrate (PND) de Moubarak, qui est soumis ensuite à référendum. Donc, pas de suffrage universel. Pas de démocratie. Une telle décision n'est pas venue fortuitement et s'avère loin d'être un choix politique du régime en place. Elle obéit plutôt à une crainte née des avertissements américains répétés à l'adresse du régime de Moubarak. La libération du chef du parti libéral égyptien Al Ghad Ayman Nour, avec cinq autres membres de la direction du parti, après avoir passé six semaines en prison, vient à point nommé donner du crédit à une telle hypothèse qui est loin d'être fausse. Il faut seulement rappeler les déclarations de la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice, lors de sa tournée dans la région, qui avait exprimé les « très vives inquiétudes » de l'Administration américaine par rapport à l'emprisonnement de M. Nour et a demandé aux autorités égyptiennes de clarifier cette situation. La détention, le 21 janvier dernier, de M. Nour, cet avocat de 40 ans et réformateur populiste, a suscité également la réprobation de l'UE. M. Nour a déjà annoncé sa candidature à la présidentielle. L'opposition égyptienne, ayant applaudi cette réforme, n'est pas satisfaite et exige une réforme globale de tout le système. Elle demande « la limitation à deux des mandats présidentiels et la limitation de leur durée à quatre ans chacun ». George Isaac, le coordinateur du mouvement Kefaya (Ça suffit), hostile à Moubarak, est très actif dans les milieux populaires. Son organisation s'est distinguée par ses positions contre le régime en place et contre l'hérédité du pouvoir, surtout que Moubarak le père prépare le terrain à son fils, Gamal, pour lui succéder. Les proches de Moubarak qualifient Kefaya de « spectre politique ». Tadjamo, parti de gauche marxiste, la formation Wafd de tendance libérale, le parti nassérien et le mouvement des Frères musulmans revendiquent depuis toujours une véritable ouverture démocratique garantissant les libertés. L'opposition égyptienne craint que la réforme de Moubarak ne débouche que sur un simulacre de démocratie. Les partis de l'opposition ont toutefois exprimé dernièrement leur refus de toute ingérence américaine dans les affaires intérieures de leur pays. Le président américain, George W. Bush, avait rappelle-t-on, demandé à maintes reprises au régime égyptien d'instaurer la voie de la démocratie. Ainsi, l'Egypte, qui vit toujours sous l'état d'urgence décrété suite à l'assassinat d'Anwar Sadate le 6 octobre 1981 malgré l'appel de l'opposition pour sa levée, saura-t-elle saisir l'opportunité pour se démocratiser ?