Un livre qui retrace les événements tragiques qui se sont déroulés à Guelma grâce à des recherches qui restituent le drame perpétré par la colonisation. Excellente initiative que celle des éditions Média-plus de Constantine de publier le livre de Jean-Pierre Peyroulou sur les massacres du 8 Mai 1945 à Guelma, intitulé Guelma, 1945. Une subversion française dans l'Algérie coloniale, qui sera bientôt dans les librairies. Jean-Pierre Peyroulou a fait d'excellentes recherches, fouillé dans de nombreuses archives et une large bibliographie et fait ressortir dans ce livre moult détails. La question est traitée sous plusieurs angles. D'emblée, dans la préface de Marc Olivier Baruch, directeur des études de l'Ehess, le ton est donné, on lit cela : « Fort différents en cela du cas concomitant de Sétif, où une manifestation tournant à l'émeute suscita en retour une répression démesurée, les événements de Guelma — présentés ici en détail du 14 avril 1945, date à laquelle le sous-préfet André Achiary décida de former une milice, au 29 juin, jour où le ministre de l'Intérieur Adrien Tixier, repartit d'Algérie où il s'était déplacé en personne pour mettre fin aux tueries — apparaissent comme emblématiques de la défiance des Français d'Algérie envers les pouvoirs publics légaux en cas de crise. » Ce qui, selon l'historien Peyroulou, préfigure plus tard l'avènement de l'OAS et les événements que connaîtront les grandes villes, Alger et Oran, à la fin de la guerre de libération. Les Français ou les Européens (le mot utilisé) d'Algérie agiront comme il leur plaira, en massacrant les « indigènes », faisant une épuration des indépendantistes, faisant le pied de nez aux pouvoirs publics, qui finiront par avaliser les choses en leur faveur, en amnistiant plus tard tous les tueurs. L'insurrection des Algériens a été étouffée dans l'œuf par les massacres, après les premiers morts algériens, et après celle des 12 colons. « Aucune arme de guerre saisie pendant les opérations. Pas de pertes chez les militaires », voila ce que dit le rapport du colonel Monniot, commandant des opérations militaires dans le secteur de Guelma. L'auteur ajoute : « En somme, il n'y eut pas de véritables adversaires, mais une répression sans proportion avec le danger encouru : milice, police, gendarmerie, infanterie, automitrailleuses, bombardiers, chasseurs contre des populations nombreuses mais sans armes. » L'on s'est toujours demandé pourquoi ces massacres se sont déroulés à Guelma et, en dehors de Sétif et Kherrata, pas ailleurs, surtout par rapport aux villes environnantes. Pour l'auteur, « la première raison est qu'il y eut des morts européens (à Guelma) à la suite des premiers morts musulmans ». Il donne d'autres raisons, un peu plus loin, disant : « Le basculement dans le massacre eut lieu du 9 au 13 mai 1945, après la manifestation, après les premières nouvelles de Sétif et la légitimation du préfet », ou encore : « L'activité meurtrière de Guelma fut une réponse indirecte, inspirée par la peur et la colère, à celle de Sétif ». Essayant d'expliquer la chose, il poursuit ainsi : « Depuis les années 1920, la démographie évoluait en faveur des musulmans, les Européens de Guelma étaient saisis de l'angoisse de la submersion. De ce point de vue, le massacre peut être considéré comme un « infanticide différé ». Il continue son argumentation : « La très forte mobilisation des Algériens dans les sections locales des AML, leur contrôle par le PPA, l'essor des trois mederssa réformistes étaient indiscutablement les signes d'une puissante mobilisation politique, totalement nouvelle par sa dimension populaire, par la hardiesse de ses buts et par la radicalité de son langage ».Il revient sur la crémation des cadavres dans le four à chaux de Marcel Lavie, pour que la commission d'enquête n'y voit que du feu. Ignoble acte qui arrange et les Français d'Algérie et les pouvoirs civils locaux et métropolitains. « Les Européens observaient, plus fortement qu'ailleurs, le chemin parcouru par les Algériens et le terrain politique qu'eux-mêmes perdaient. Comme nous l'avons montré, ils réagirent en tuant ceux qu'ils considèrent comme une menace pour leur avenir en Algérie, manifestant ainsi leur refus de la politique menée par le gouvernement provisoire. Ils trouvèrent un large consentement auprès de la population européenne du département et d'une partie de l'Algérie, effrayée par ce qui s'était passé à Sétif. Ils dérobèrent le crime aux yeux des pouvoirs civils algérois et surtout métropolitains. Ces derniers tolérèrent l'existence d'une commune insurrectionnelle à Guelma en mai-juin 1945, d'une part, pour ne pas affronter l'opinion coloniale et, d'autre part, pour ne pas faire mauvaise figure devant les Alliés et l'opinion internationale ». On aimerait qu'il y ait beaucoup de livres du genre, bien fouillés et écrits par des historiens algériens.