Coup d'envoi du 63e Festival de Cannes, qui débutera aujourd'hui 12 mai et qui se clôturera le 23 de ce mois, après un déluge qui a provoqué d'énormes dégâts sur la Croisette, avec un film américain Robin des bois, de Ridley Scott, une nouvelle adaptation du roman classique de Walter Scott. Cannes De notre envoyé Spécial Les héros étaient jadis incarnés par Errol Flynn et Douglas Fairbanks. C'est maintenant au tour de Russel Crowe, avec à ses côtés la belle Cate Blanchett. Une histoire qui fait plaisir aux adolescents, un coup de bravoure, de tendresse, d'exploits et de tourments en costumes d'époque. Le programme de Cannes 2010 s'annonce plutôt bien. Sous peine de rater les quelque 20 films en compétition et bien d'autres encore, il faudra se lever aux aurores, foncer sur la Croisette et défendre ardemment sa place, dans le grand théâtre Lumière, parmi les 4000 journalistes accrédités venus du monde entier, qui vont rouler les épaules et courir derrière les images de l'aube à minuit. Si on compte la sélection officielle, les sections parallèles, le marché du film, les stocks de bobines dans les cabines de projection, cent films sortiront peut-être en même temps au Festival de Cannes à tout instant. C'est une chose de vouloir découvrir les œuvres de Ridley Scott, Takeshi Kitano, Rachid Bouchareb, Abbas Kiarostami, c' en est une autre de guetter le surprenant retour de Jean-Luc Godard sur la Croisette avec son film Socialisme, dans la section Un Certain Regard. Dans Socialisme, Godard a aligné la chanteuse américaine Patti Smith, le grand philosophe français Alain Badiou et l'ambassadeur de Palestine à l'Unesco, Elias Sanbar, ami proche du cinéaste. Autant de prestigieux mais inattendus porteurs du texte souvent emprunté dans plusieurs livres par le cinéaste suisse. Godard (80 ans) n'a pas perdu son souffle. On connaît ses liens étroits avec les Palestiniens, avec Mahmoud Darwich, Leïla Shahid et Elias Sanbar. En 1969, Godard a fait un film sur la résistance palestinienne, Ici et Ailleurs (projeté à la Cinémathèque d'Alger). Comme elle le fait souvent, la sélection officielle ouvre une fenêtre sur l' histoire, l'Italie de Mussolini, les guerres d'Asie, Che Guevara ou le Chili du président Allende. D'où la grande attente, cette année, du film programmé le 21 mai : Hors- la-loi de Rachid Bouchareb, en partie sur la tragédie du 8 Mai 1945, à Sétif, présenté à Cannes sous les couleurs algériennes. Et à ce propos, une tentative sordide d'un ramassis d'anciens tortionnaires planqués dans l'extrême-droite française et l'UMP, le parti de Sarkozy, menace de créer des débordements le jour de la présentation du film. Saisis de miasmes racistes, manquant de dignité, infortunés nostalgiques de la crasse et de l'horreur de l'Algérie coloniale, ils ont cherché à interdire totalement Hors-la-loi. La réaction du Festival de Cannes est de dire : « Les chiens aboient ,la caravane passe ». Cette agitation nauséeuse autour du film algérien rappelle la fable de La Fontaine le lion et les Chasseurs. D'habitude ce sont les chasseurs qui donnent leur version de la chasse. Cette fois, c'est le lion ! Et c'est cela qui gêne tous les éclopés de l'Algérie « française ». C'est une certitude : le film de Rachid Bouchareb ne passera pas inaperçu, il y a toute cette publicité autour, comme la fois où une bande de crétins ultraréactionnaires voulaient censurer La Bataille d'Alger, La Religieuse (de Diderot) filmée par Jacques Rivette ou Le Christ de Martin Scorsese. Sans oublier L'âge d'or de Luis Bunuel. En France, heureusement, l'extrême-droite n'est pas la seule à s'exprimer sur le film de Rachid Bouchareb. Frédéric Mitterand, le ministre de la Culture, a défendu très fermement l'œuvre, et Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, a déclaré : « L'art ne se résume pas à échanger des mots d'amour. Il contribue aussi à visiter la grande et la petite histoire. Cannes est là pour servir le cinéma et accueillir les débats qui vont avec. Nul ne laissera le Festival de Cannes être troublé, outre mesure, par une controverse excessive. » Au Conseil municipal de Cannes, la voix d'André Crapiz, chef de file socialiste, a été aussi entendue : « Attention aux dérives extrémistes. Qu'il y ait un débat après la projection de Hors-la-loi, fait partie de notre démocratie. L'Algérie n'est pas un pays ennemi, mais un pays frère. » Dans tout cela, Rachid Bouchareb ne s'attendait certes pas à ce qu'une frange de la droite française lui lance des fleurs, connaissant bien son accablante misère culturelle et son incapacité à juger une œuvre d'art. Pour sa part, Xavier Beauvois, cinéaste français, a rassemblé des témoignages sur la vie des moines de Tibérine dans une fiction intitulé Des hommes et des Dieux, programmé aussi en compétition, tout en sachant que les circonstances de la terrible tragédie de leur mort demeure une énigme comme beaucoup de tragédies algériennes pendant les années sombres. Fait pour Canal Plus, le film Carlos (sur le Vénézuelien aussi célèbre que Hugo Chavez) sera projeté hors compétition. Une inconnue à ce propos : à quel acteur le réalisateur Olivier Assayas a-t-il donné le rôle d'un certain Abdelaziz Bouteflika, à l'époque ministre algérien des Affaires étrangères et qui a négocié avec un heureux succès la libération de tous les otages de la réunion de l'Opep de Vienne ?