Il y a quelques mois, un Oranais installé dans le nord de la France, Abdelhafid Ouadda, publiait Spania, un livre sur le phénomène des harraga. Roman vérité. Les « brûleurs » de mer ont encore été à la une de l'actualité mardi dernier avec le naufrage près d'Almeria (Espagne) d'une embarcation clandestine venue d'Algérie avec quatorze personnes à bord. Pourquoi avoir écrit ce livre ? Moi-même j'habite la corniche oranaise à Aïn El Turk, un endroit assez balnéaire, c'est la plage, les jeunes qui partaient en zodiac sont juste en bas de chez nous, j'ai connu ces jeunes tentés par cette aventure. D'autres, qui en sont revenus, m'ont raconté leurs péripéties. J'étais proche des événements. Cela m'a donné envie d'écrire. Un jour en vacances, j'ai rencontré un gars, à qui il ne manquait rien, en somme, il avait un magasin, son frère aussi, bien habillé, qui a une voiture, malgré cela, il a pris un bateau et s'est retrouvé à Almeria d'où il a été refoulé. Quelle est donc la force qui pousse à risquer sa vie ? Cela m'a passionné, moi-même exilé, même si je n'ai pas vécu une telle situation. Comment vous êtes-vous documenté ? Au travers des témoignages que j'ai recueillis et aussi dans les reportages de la presse. A chaque publication sur ce phénomène, je découpais l'article. Ce fléau m'incitait à toujours en savoir plus. J'ai démarré le livre en juin 2006, je l'ai achevé en novembre 2007, publié au début 2009. J'avais du mal à trouver un éditeur. Pour revenir au fond du sujet traité, malgré les effets désastreux du voyage et les infos qui reviennent aux oreilles des jeunes qui entendent parler des morts et des personnes en rétention loin de chez eux, comment cela se fait-il que cela continue épisodiquement ? L'idée de partir est une idée qui existe depuis toujours. Depuis 1962, on entend les mêmes critiques : les gens sont restés dans une expectative où les choses évoluent pour les protagonistes politiques, mais la population est livrée à elle-même. On se souvient que pendant longtemps, et ce n'est pas fini, l'Algérie est une prison à ciel ouvert, par la faute des dirigeants autrefois, par la difficulté des visas à présent. Le fait de partir et de se déplacer est pourtant inscrit dans la nature de l'homme, un besoin inné de découverte. Il y a des millénaires, les populations se déplaçaient d'un continent à un autre, à pied, avec des moyens plus ou moins adaptés, moins sophistiqués alors qu'un zodiac. Un jeune veut sortir de ses murs, si on l'enferme, il essayera toujours de s'en échapper coûte que coûte. Je ne pense pas que ce soit à cause des problèmes économiques, car ces problèmes existent partout dans le monde. C'est plus par besoin de liberté qu'ils bravent la nature et les éléments. En même temps vous dénoncez les passeurs... Absolument, ce sont des assassins, des brutes épaisses. Et les autorités, pendant longtemps ont été laxistes. Votre prochain roman... J'ai terminé un livre. L'histoire d'un musicien qui n'a pas réussi, mais qui trouve un moyen pour se faire entendre. Le prix fort |Dans Spania, Abdelhafid Ouadda voulait donner un maximum d'intensité à la folie qui s'empare de jeunes risquant le tout pour le tout avec comme rêve de se retrouver de l'autre côté. Il y a réussi plus que de mesures, particulièrement dans les pages consacrées à la tragédie de la traversée, lorsque le moteur du zodiac s'emballe, que la frêle embarcation prend l'eau et dérive insensiblement vers des rivages mortels dont peu vont échapper. Le romancier, également musicien et chanteur, installé à Roubaix, décrit par le menu l'odyssée de quatre jeunes Oranais dans leur projet de s'enfuir vers l'Europe, en dépit des dangers de la mer qu'ils connaissent pourtant. Ils paient le prix fort à des passeurs sans scrupules qui doivent les déposer sur la côte espagnole. Hélas, rien ne se passera comme prévu. Ce livre qui gagnerait à être édité en Algérie est un témoignage rare et juste qui pousse à la réflexion. Spania, un roman sensible, écrit dans une belle plume émouvante, alors qu'à Alger, c'est le film de Merzak Allouache qui tient les flots, sur le grand écran.| Spania, Abdelhafid Ouadda, édition Elzévir, Paris 2009