29 juin 1992, 11h35, Mohamed Boudiaf entamait son discours. 11h40, un léger bruit interrompit le discours de Mohamed Boudiaf qui l'a fait se retourner. 11h41, une soudaine explosion précéda l'irruption de celui qui allait l'assassiner une minute après. Le 27e anniversaire de l'assassinat de Mohamed Boudiaf à Annaba ne ressemble en rien aux précédentes. En effet, contrairement aux années antécédentes, la mémoire du défunt a drainé plusieurs dizaines de personnes. Sous un soleil caniculaire, hommes et femmes, en majorité des jeunes, se sont joints, hier, à la même et traditionnelle poignée des humbles qui, annuellement, se donnent rendez-vous sous la stèle de Si Tayeb El Watani, érigée au centre du palais de la Culture de Annaba. Parmi eux, des avocats, des journalistes, des jeunes activistes sont venus également prendre part à cette action relevant de la mémoire nationale. Ils se sont recueillis sur le même lieu à Annaba à la même heure, 11h42, où avait été lâchement assassiné, 27 ans auparavant, Mohamed Boudiaf, l'ex-président algérien. Ce qui n'est pas le cas pour les officiels qui, loin d'être libérés, demeurent encore coincés dans les dogmes de l'ancien système. Même les représentants du peuple (élus) n'étaient pas à la cérémonie de celui qui avait tout abandonné pour eux. Ce grand homme est Mohamed Boudiaf, l'un des révolutionnaires de la première heure pour l'indépendance de l'Algérie et ex-président du Haut Conseil de l'Etat (HCE). A contrario et comme d'habitude, Bachir Chebli, l'ancien sénateur FLN, continue depuis plusieurs années de briser cette clandestinité qui n'honore personne. Absent pour des raisons de santé, Me Hchaichia Hmaïda, membre fondateur de la Fondation Mohamed Boudiaf, a insisté au téléphone pour prendre part à l'événement via les réseaux sociaux. «J'exige la vérité sur l'assassinat du président Mohamed Boudiaf. Il est le seul et unique président à avoir dénoncé la mafia politico-financière lors de ses discours prononcés avant son assassinat en 1992», a-t-il martelé d'une petite voix. Une autre grande dame a réagi, hier, à cet événement, relevant de la mémoire nationale. Il s'agit de Mme Mounira Haddad. «Mes amies et moi avions pris la décision d'ériger un buste en bronze de Boudiaf afin d'honorer la mémoire de ce héros. C'est ce qui a été fait. Après sa mort, l'Algérie a vécu une tragédie directement liée à cet assassinat qui, en direct, a tétanisé les Algériens, jusqu'à ces miraculeuses manifestations de Annaba, Kherrata et Khenchela. Après, ce fut l'apothéose du 22 février avec l'espoir de construire une République démocratique et sociale, débarrassée à jamais de ceux qui l'ont pillée», rappelle-t-elle. Vingt-sept ans après, les Algériens sont encore dans l'attente de la vérité sur cet assassinat qui représente un secret de polichinelle. C'est toujours avec cette même interrogation à l'esprit que les fidèles à la mémoire de Si Tayeb El Watani cherchent à comprendre le comportement des officiels envers celui qui a donné sa vie à l'Algérie. Pour mémoire, à la même heure et au même lieu, Mohamed Boudiaf était abattu, 27 ans auparavant. Ses discours, ses déclarations politiques, son jusqu'auboutisme à ouvrir des dossiers de la mafia politico-financière et sa détermination à traduire devant la justice les auteurs de ces méfaits avaient laissé espérer à une Algérie meilleure. Sa visite de travail à Annaba avait été annoncée pour le 29 juin 1992. Le palais de la Culture, où Mohamed Boudiaf devait se rendre dès son arrivée, était pavoisé par ses portraits et des centaines d'emblèmes nationaux. Imperméable, le lieu était quadrillé par plusieurs rangs de policiers en uniforme où il était pratiquement impossible à quiconque d'accéder au palais de la Culture, hormis aux invités badgés. A 11h35, Mohamed Boudiaf entamait son discours. 11h40, un léger bruit interrompit le discours de Mohamed Boudiaf qui l'a fait se retourner. 11h41, une soudaine explosion précéda l'irruption de celui qui allait l'assassiner, une minute après. C'était son bourreau, le lieutenant Boumarafi en uniforme bleu. Imperturbablement, il tira à bout portant. Plusieurs balles logeaient dans la tête de Mohamed Boudiaf, avant de vider son chargeur sur les décors. Mohamed Boudiaf venait d'être assassiné. Sa tête sanguinolente gisait sur la scène sur laquelle il s'interrogeait auparavant : «Où va l'Algérie ?»