Avant-hier, à 11h42, une poignée d'humbles hommes se sont recueillis sur le lieu où, il y a 19 années jour pour jour et à la même heure, avait été assassiné Mohamed Boudiaf, un des révolutionnaires de la première heure pour l'indépendance du pays et président du Haut-Conseil d'Etat (HCE). Mohamed Boudiaf avait été appelé, clandestinement, par ses compagnons de lutte pour sauver l'Algérie. Il était venu avec l'espoir de donner au peuple algérien une réponse définitive à sa célèbre interrogation «Où va l'Algérie ?» En répondant à l'appel de son pays, l'espoir de tout un peuple renaissait. Ses discours, ses déclarations politiques et son jusqu'au-boutisme à ouvrir des dossiers épineux, notamment ceux ayant trait à la corruption et aux passe-droits, et sa détermination à traduire devant la justice les auteurs, avaient laissé espérer en une Algérie meilleure. Sa visite de travail à Annaba avait été annoncée pour le 29 juin 1992. Le Palais de la culture, où Mohamed Boudiaf devait se rendre dès son arrivée, était pavoisé de ses portraits et des centaines de drapeaux aux couleurs nationales. Imperméable, le lieu était quadrillé par plusieurs rangs de policiers en uniforme, où il était pratiquement impossible à quiconque d'accéder au palais de la culture, à part les invités badgés. A 11h35, Mohamed Boudiaf entama son discours. 11h40, un léger bruit interrompit le discours de Mohamed Boudiaf. Il tourna son regard et s'inquiéta de ce qui se passait derrière lui. 11h41, une soudaine explosion précéda l'irruption de celui qui allait l'assassiner une minute après. C'était son bourreau, le lieutenant Boumarafi en uniforme bleu. Imperturbable, il tira à bout portant plusieurs balles ciblant la tête de Mohamed Boudiaf avant de vider son chargeur sur les décors. Mohamed Boudiaf venait d'être assassiné. Sa tête sanguinolente gisait sur la scène, où il avait martelé auparavant l'évidence de redresser l'Algérie. Dix-neuf années après, les Algériens sont encore dans l'attente de la vérité sur cet assassinat ; cette affaire n'a pas livré tous ses secrets. C'est toujours avec cette même interrogation que ces personnes, avant-hier, ont déposé une gerbe de fleurs au pied de la stèle de Mohamed Boudiaf au palais de la culture de Annaba, baptisé en son nom. Parmi les présents, maîtres Hchaichia Hmaïda et Khaldi, membres fondateurs de la fondation Mohamed Boudiaf, qui, en l'absence et l'indifférence des autorités locales, ont tenu à rappeler pour que nul n'oublie : « Mohamed Boudiaf, président honnête appelé clandestinement à la rescousse pour sauver l'Algérie en déperdition, avait été assassiné en ce lieu. Et nous commémorons aujourd'hui l'assassinat de ce grand chahid clandestinement en l'absence des autorités locales.»