La libération des détenus n'est pas un préalable. C'est une exigence au-dessus des préalables. C'est le préalable des préalables.» La formule est de Djamel Zenati qui l'a postée sur sa page Facebook. En cette phase où l'on vante les vertus du «dialogue», surtout avec le conclave de Aïn Benian, la déclaration de Djamel Zenati prend tout son sens. Et c'est la condition posée, du reste, par plusieurs acteurs de la scène «hirakiste» pour signifier au tandem AGS-Bensalah qu'il est hors de question d'envisager la moindre velléité de négociation sans cet «impératif catégorique» (en langage kantien), ce que d'autres appellent «mesures d'apaisement», «mesures de détente», «gage de bonne volonté»… D'aucuns espéraient même que les prisonniers politiques et autres détenus d'opinion raflés ces dernières semaines seraient relâchés la veille du 5 Juillet. Non seulement il n'en fut rien, mais Bensalah n'a eu aucun mot pour eux dans son dernier discours. Le pire dans tout cela est que la police a continué à réprimer avec le même acharnement, embarquant des citoyens à l'emporte-pièce, en pleines festivités du 5 Juillet, durant cet acte 20 de notre «Silmiya» qui tombait en pleine fête de l'Indépendance. Non, le régime n'a pas changé ses habitudes, et c'est le même logiciel qui continue à faire tourner le système. Les images du passage à tabac de deux manifestants pacifiques, sans défense, par des membres des forces antiémeute, roués de coups de rangers et de matraque, alors qu'ils sont à terre, ont achevé de nous enlever toute illusion quant aux dispositions de l'ordre autoritaire à se réformer tout seul. Oui, ils ont réprimé, tabassé, embarqué des Algériens en pleine fête du 5 Juillet, donnant raison à ce slogan scandé furieusement par un peuple tout entier qui n'en peut plus de ces brutes qui nous gouvernent : «Echaâb yourid El Istiklal !», (Le peuple veut l'indépendance). Tout est dit dans cette terrible sentence. Les images ont fait le «buzz», mais cela n'a pas empêché la police de récidiver, cette fois à Mascara, embarquant pas moins de 12 activistes ce samedi, dont le seul tort est d'avoir protesté contre la visite de la ministre de la Culture, Meriem Merdaci. Ils ont été fort heureusement relâchés dans la journée, mais il convient de rappeler que Hadj Ghermoul est toujours privé de sa liberté. Il avait été arrêté par la police de Bouteflika et il continue à purger sa peine dans une maison d'arrêt près de Mascara, alors que Boutef n'est plus là. Une métaphore vivante de la drôle de situation que nous vivons : Bouteflika est parti et la police de Bouteflika est toujours en place, tout comme le reste : justice, télévision, administration, walis, ministres, Bedoui, Bensalah, Gaïd Salah. Comme dit la formule : «Il faut que tout change pour que rien ne change.» Tabassés un 5 juillet ! Force est de le constater : la libération des détenus est, aujourd'hui, en tête des exigences immédiates du mouvement populaire du 22 février, comme on a pu le voir ces derniers vendredis et dans les manifs étudiantes. «Libérez les détenus du hirak», résumait une pancarte brandie par un citoyen ce 5 juillet. On pouvait lire aussi sur d'autres écriteaux : «Libérez les prisonniers d'opinion, libérez le moudjahid Lakhdar Bouregaâ», «Vous ne nous imposerez pas un autre président ni un autre corrompu, libérez les prisonniers d'opinion». En ce 20e vendredi, on a vu aussi nombre de citoyens défiler avec des t-shirts à l'effigie de Lakhdar Bouregaâ, ou encore de la jeune militante du RCD Samira Messouci, arrêtée le 28 juin dernier. Réagissant aux violences policières de ce vendredi, le Réseau contre la répression, pour la libération des détenus d'opinion et pour les libertés démocratiques a rendu public un communiqué, où il dénonce : «Une journée historique qui a malheureusement été entachée par les nombreuses atteintes aux libertés, perpétrées par le pouvoir, à l'encontre du peuple algérien alors qu'au moins 36 de nos concitoyens (dont l'unique ‘‘tort'' est d'avoir brandi l'emblème amazigh), le moudjahid Lakhdar Bouregaâ (l'un des plus illustres acteurs de la Révolution anticoloniale) et des militants et personnalités politiques ayant à cœur de défendre leur pays et de dénoncer l'oppression, sont toujours emprisonnés, dans l'opacité la plus totale.» S'agissant des violences infligées par des policiers déchaînés à deux manifestants à terre, le Réseau assure qu'il «se réserve le droit de poursuivre en justice ces agents et leur hiérarchie». Le collectif a invité dans la foulée les citoyens victimes d'une agression de la part des forces de police «à se rapprocher de nous via notre page et si possible avec tous les documents filmés ou photographiques pouvant appuyer ces témoignages». A noter que la DGSN a annoncé, de son côté, l'ouverture d'une enquête sur l'affaire des citoyens tabassés, affirmant que le chef de la police, Abdelkader Kara Bouhedba, a instruit à cet effet «l'Inspection générale de la Sûreté nationale» en insistant sur «l'impératif d'enquêter sur les faits et de situer les responsabilités afin que toutes les mesures prévues par la loi soient prises». «Libérez les détenus d'opinion ou inculpez-nous !» Parmi les autres actions de solidarité à retenir, une marche est prévue aujourd'hui (lundi 8 juillet) à Ifri-Ouzellaguen, à l'appel du Collectif des citoyens d'Awzellaguen (CCA). C'est pour exiger «la libération immédiate et inconditionnelle de tous les détenus d'opinion, l'arrêt de toutes les procédures et les poursuites judiciaires engagées contre ces derniers» et pour «dénoncer la campagne de dénigrement à l'égard des symboles de la Révolution algérienne 1954 -1962». Il faut savoir qu'un enfant de la ville figure parmi les détenus : il s'agit de Khaled Oudihat, dit Tahar, arrêté le 21 juin à Alger. Signalons également cette pétition initiée par le collectif Libertés Dignité Citoyenneté. «Par solidarité avec les prisonniers d'opinion arrêtés pour délit d'emblème amazigh, plusieurs citoyens (écrivains, professeurs, médecins, journalistes, artistes…) demandent au procureur général d'Alger de les inculper pour ‘‘atteinte à l'unité nationale''», écrit Arezki Aït Larbi, l'un des principaux animateurs de ce collectif, avant de préciser : «Cette ‘‘lettre ouverte'', initiée par le collectif Libertés Dignité Citoyenneté, vise à gripper la machine judiciaire en multipliant le nombre des détenus volontaires.» Parmi les premiers signataires de cette pétition : Mohamed Harbi, Boualem Sansal, Omar Belhouchet, Fadéla Chitour-Boumendjel, Khaoula Taleb Ibrahimi, Djamel Zenati, Mohamed Ali Allalou ou encore Sid Ahmed Semiane. Extrait : «Ce procès sera également le nôtre ! Pour avoir participé aux mêmes manifestations que les détenus que vous vous apprêtez à sacrifier pour sauver un régime délinquant ; pour avoir déployé le même emblème amazigh ; par solidarité avec les victimes de la répression et de l'arbitraire : les signataires demandent à être inculpés pour ‘‘atteinte à l'unité nationale''.» Une page Facebook a été créée pour ceux qui souhaitent se joindre aux signataires de cette pétition. «La répression s'inscrit dans un rapport de forces» Interrogée, en marge de la manifestation des étudiants de mardi dernier, à propos du moment autoritaire que nous traversons, la politiste Louisa Dris-Aït Hamadouche décrypte : «Cette crispation autoritaire qui se traduit par des interpellations, par des intimidations, par des mises sous mandat de dépôt, y compris de personnalités très emblématiques (…), je pense qu'en regardant cela dans le temps long du soulèvement depuis le 22 février, on remarque que ce n'est pas la première fois qu'il y a une crispation sécuritaire. Celle-ci peut s'inscrire dans une relation de rapport de forces.» Dès lors, cette séquence «peut exprimer l'idée que chacun des protagonistes est en train de conforter son rapport de forces dans le but d'obtenir le maximum de ce qui peut s'obtenir si négociation il y a». La politologue considère, par ailleurs, que «les intimidations peuvent montrer que le pouvoir politique ne se sent pas vulnérable face à la pérennisation du soulèvement. Cela peut aussi être l'expression d'une incapacité à trouver des solutions politiques à des revendications qui, elles, sont politiques. Je crois qu'on est aujourd'hui dans une configuration où on a la carotte et le bâton en même temps : la proposition de dialogue, d'un côté, et une crispation autoritaire de l'autre». Pour Louisa Dris-Aït Hamadouche, «il est difficile, aujourd'hui, de savoir dans quelle direction le rapport de forces évoluera». «A l'heure actuelle, on ne sait pas si les mesures de répression sont tactiques ou bien stratégiques», estime-t-elle.