On vit bien au Bunker, le Palais des festivals. Cela tient à l'organisation parfaite, l'intensité des découvertes et des rencontres. Au plaisir aussi. Voir les scènes soyeuses et froufroutantes de la montée des marches, c'est glamour, rêve de star et compagnie. Pourtant, il y a du sérieux dans l'air. Vu de l'intérieur de ce gros bâtiment rose ancré sur les rives du petit port, à la fois palais du festival, palais des congrès, marché du film, les choses se passent sérieusement, sans folie, en toute respectabilité et convivialité. Ce palais très accueillant a heureusement échappé au « coup de mer », le mini-tsunami qui a touché la Croisette et toute la Côte d'Azur, le mardi 4 mai. Les quelque 4000 envoyés spéciaux, débarqués de tous les coins du monde, ont envahi le lieu et oublient ce qui se passe ailleurs. Ils n'ont pas changé leurs habitudes. Ils peuvent dire adieu au sommeil. Tous les matins, les premières projections les tirent du lit dès l'aurore, il y a eu une dernière séance à minuit... Les films, chaque matin, se succèdent dans les salles Lumière, Debussy, Bazin et Jean-Louis Bory. Si par chance on a vu des œuvres pleines de verve, de talent, originales qui viennent d'Ukraine, de Corée du sud ou de Chine, peu importe, on se dit qu'on a bien fait de se réveiller à temps et même de rater le café-croissant. Sans plus attendre, la série des conférences de presse commence à 11h et dure jusqu'à 14h. Les séances de « Un Certain regard » ou la « Quinzaine des réalisateurs » venant juste après, le lunch est ultra rapide, ça se réduit à une pomme et une barre de chocolat, sauf dans le cas d'une miraculeuse invitation à un banquet japonais ou australien sur la plage... Pour pénétrer à la Quinzaine, dont les séances se passent au 3e sous-sol de l'ancien palais retapé en palace clinquant, c'est souvent une foire d'empoigne. Partout ailleurs, la presse est prioritaire. A la Quinzaine, qui vend des tickets au public, s'ensuivent des attentes et des bousculades ; aussi, on arrive dans la salle harassé et en piteux état, jurant de ne plus revenir... Au Bunker, pour les sections officielles, le service de presse est performant, impeccable et les journalistes glissent dans les salles souvent accompagnés d'un assaut de courtoisie. Les porteurs des meilleurs badges (roses avec pastilles) pour les envoyés spéciaux des plus grands journaux du monde : The New york Times, The Times of India, El Watan, La Stampa, The Times... sont admis dans les salles à la vitesse grand V ! alors que leurs collègues de publications de moindre importance patientent quelques minutes encore... Les badges de couleur blanche rares et très recherchés donnent accès partout, y compris la montée des marches et, peut-être, les dîners à la table des stars ! Faveur donnée aux critiques les plus anciens et aux envoyés spéciaux du quotidien japonais Asahi Shimbun qui tire à 5 millions d'exemplaires ! Le marathon des journalistes se poursuit tard dans la nuit où il arrive que des fêtes retentissantes les propulsent hors des salles. La grande majorité d'entre eux vit dans des chambres d'hôtel d'aspect monacal à des tarifs exorbitants. Pendant le festival et aussi dès que commence le Grand prix de Monte-Carlo, les prix grimpent vertigineusement dans les magasins, les hôtels et les restaurants. Les grands palaces, c'est pour les stars, le jury, les producteurs et les réalisateurs. Le festival invite cependant un grand journaliste, au moins, de chaque pays à goûter les festins culinaires qui se préparent dans les grands palaces de Cannes. Leur séjour devient, de ce fait, encore plus inoubliable ! Le rituel est trépidant, frénétique, films, conférences, rencontres, fêtes. Mais arrive aussi le moment précieux dans la journée où il faut s'asseoir dans la salle de presse devant un ordinateur et « pondre » l'article quotidien qui sera envoyé à l'autre bout du monde. Comment s'habille la presse à Cannes ? En général, tous les goûts sont permis, chic ou prolétarien. Les photographes et cameramen mettent tous des smokings pour être autorisés à s'approcher des stars sur le tapis rouge. Leurs collègues femmes n'oublient pas les paillettes et les hauts talons. Les smokings et les robes du soir se louent pour la soirée dans des boutiques de Cannes. Les vigiles du Bunker (dont beaucoup sont Algériens) deviennent des copains à force de nous voir. On se salue, on évoque le bled et on a l'impression qu'ils meurent d'ennui dans la petite ville de Cannes, s'il n'y avait pas le festival. Ainsi, la colonie journalistique au festival de Cannes, triée sur le volet sévère, constitue un univers sympathique, organisé, très studieux. On sait tous qu'on passe des moments mémorables et que personne ne dormira beaucoup.