Hier, lors du 21e vendredi du hirak populaire, les Oranais ont fait fi des menaces de Gaïd Salah qui, rappelons-le, avait taxé de «traîtres» toutes celles et ceux qui clament : «Dawla madania, machi askaria !» (Un Etat civil et non militaire). Autant dire que ce slogan a été l'un des plus récurrents lors de la marche d'hier, au point de revenir continuellement dans la bouche des manifestants. Ces derniers, malgré la chaleur et l'humidité, ont marché d'un pas ferme de la place 1er Novembre jusqu'à la wilaya, et ont eu assez de souffle pour scander des slogans anti-pouvoir, et pousser la chansonnette en reprenant en chœur des refrains révolutionnaires, notamment ceux des stades. A 14h, au démarrage de la marche, beaucoup parmi les manifestants s'étaient liés les mains avec une corde en guise de menottes et avaient mis du scotch sur leur bouche. Une manière de dénoncer la répression acharnée qui s'abat sur la liberté d'expression en ce moment en Algérie, et qui se traduit par l'emprisonnement d'un grand nombre de citoyens pour «délit d'opinion». D'ailleurs, beaucoup de pancartes réclamaient ni plus ni moins la libération de tous les détenus d'opinion en Algérie, notamment celle du moudjahid Lakhdar Bouregaâ. Pas intimidés pour un sou, on sentait que les manifestants n'avaient cure des menaces de Gaïd Salah. Justement, la marche avait débuté par : «Had chaab la yourid hokm el askar min jadid !», «La doustour la askar, echaab houa li ykarar !» (Ni la Constitution ni l'armée, c'est le peuple qui décide), «Gaïd Salah dégage !». Les manifestants étaient à ce point concentrés sur leurs revendications qu'ils avaient complètement oublié la joie qui avait prévalu la veille, lors de la qualification de l'Algérie en demi-finale de la CAN. Au niveau de la rue Larbi Ben M'hidi, un homme, armé d'un karcher, arrosait les manifestants pour les rafraîchir quelque peu de cette chaleur caniculaire. Un des manifestants, croisé au quartier Miramar, tenait une pancarte où était écrit : «Non à un Etat militaire, non à un Etat policier, oui à un Etat civil. Libérez Ibrahim Lalami !». Il s'agit d'un blogueur qui a été arrêté la veille (jeudi) à Es-Senia (Oran), et dont nous ignorons encore le sort qui lui a été réservé. Une autre manifestante avait écrit sur son écriteau : «Solidaires avec Me Salah Debouz et avec tous les détenus politiques». Bien entendu, hier les Oranais sont sortis par dizaines de milliers pour exiger un Etat de droit et le départ du système, mais cela ne les a pas empêchés de le faire dans un esprit de fête, où la convivialité se mêlait à la bravoure. C'est surtout sous le pont appelé communément «Pont de la wilaya» que les manifestants se sont déchaînés le plus, en criant à tue-tête des slogans anti-pouvoir, et où, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, ont pris plaisir à faire une halte festive, en chantant, dansant et signifiant leur «fureur de vivre». En somme, la démonstration de force d'hier a apporté un démenti clair et net à ceux qui misaient sur l'essoufflement du hirak après le 5 juillet.