Les services de la communication de la présidence de la République viennent d'annoncer, sous forme presque d'alerte info, que les noms des personnalités devant composer le panel choisi par le chef de l'Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, pour conduire «le dialogue national inclusif» que les pouvoirs publics envisagent d'engager seront dévoilés incessamment. Les consultations menées par les représentants du pouvoir avec ces personnalités se déroulent dans la discrétion la plus totale, ne laissant filtrer aucune information aussi bien du côté officiel que des potentiels candidats approchés. L'ancien président de l'Apn, Karim Younès, est le seul à avoir brisé l'omerta imposée autour de ce sujet, affichant son entière disponibilité à apporter sa contribution pour aider à sortir le pays de la crise, tout en rappelant les préalables et les objectifs de ce dialogue qui doivent tendre vers la satisfaction des revendications populaires pour une Algérie nouvelle. Karim Younès, qui jouit d'un parcours politique respectable – il avait démissionné de son poste de président de l'Apn sous Bouteflika) – ne précise pas dans ses dernières sorties médiatiques s'il faut lire ses déclarations comme une offre de service personnelle déliée de tout engagement, une réponse à des sollicitations de la société civile où il est très actif, ou alors voir en sa personne une recrue du pouvoir parmi les membres du panel chargés de piloter le dialogue auquel a appelé le chef de l'Etat. Le secret ayant entouré les consultations pour le choix des membres de la présidence du dialogue répond certainement au souci du pouvoir de ne pas rééditer l'expérience de la conférence nationale avortée de Bensalah, laquelle avait été précédée, on s'en rappelle, par une médiatisation des audiences du chef de l'Etat avec certaines personnalités donnant lieu à de folles spéculations qui ont précipité l'échec de l'initiative. Black-out informationnel Cette fois-ci, le pouvoir s'est résolu à faire les choses autrement : maintenir le black-out informationnel pour ne pas se découvrir, s'exposer aux tirs ennemis. Mais la politique du fait accompli est la négation même de la philosophie du dialogue qui suppose avant, pendant et après les discussions des consensus et des compromis négociés sur tout ce qui concourt à la conduite et au succès du dialogue, à savoir le choix des personnalités désignées pour officier le dialogue, les partenaires invités à la table des pourparlers et les objectifs tracés. Depuis l'annonce de la nouvelle initiative du dialogue de Bensalah, l'opposition et le mouvement de contestation qui militent pour une autre voie de règlement de la crise axée sur la mise en place d'une phase de transition devant préparer les conditions démocratiques de la succession à la tête de l'Etat – laquelle s'oppose à la solution du pouvoir privilégiant l'accélération du processus électoral par l'organisation dans les plus brefs délais de l'élection présidentielle – la scène politique n'a pas connu un emballement particulier. Les différents acteurs politiques campent sur leurs positions. En dehors des soutiens traditionnels du pouvoir en civil ou en uniforme parmi la classe politique qui ont applaudi sans conditions, comme de coutume, à la nouvelle offre de dialogue du pouvoir, le mouvement de la société civile, les formations politiques de l'opposition et les personnalités se présentant comme une troisième force entre le pouvoir et l'opposition radicale qui croient que la solution passe par un compromis politique autour de l'organisation dans des délais raisonnables de l'élection présidentielle à travers un scrutin libre et transparent attendent que le voile soit levé sur les noms du panel des personnalités du dialogue pour s'associer ou pas aux discussions. On imagine mal le pouvoir se lancer dans cette difficile opération de charme de l'opposition, affichant sa volonté de ne pas s'impliquer politiquement dans ce dialogue, faire l'économie de consultations préliminaires avec les parties de cette opposition qui ont montré des dispositions au dialogue de Bensalah en ne sollicitant pas leur avis sur les choix des personnalités proposées. Même si, hypothèse la plus optimiste, ces personnalités reçoivent l'onction des «forces du changement» favorables au dialogue avec le pouvoir sous certaines conditions, il n'est pas acquis que le reste de l'opposition regroupé autour de «l'alternative démocratique», laquelle se refuse à toute concession avec le pouvoir invité à dégager jusqu'au dernier de ses symboles, donne à son tour sa bénédiction à des choix auxquels elle n'a pas été associée. Le hirak, qui a déjà plébiscité ses représentants à travers les slogans brandis lors des manifestations dans une autre démarche de sortie de crise à travers la mise en œuvre d'une période de transition sous la conduite d'un présidium composé de personnalités crédibles et acceptées par le peuple, ne pourra qu'opposer son veto au choix des personnalités que le pouvoir sortira de son chapeau. Tout simplement parce qu'on ne peut pas penser que le pouvoir puisse se faire violence au point d'ouvrir ses bras et son cœur à des animateurs du mouvement de contestation qui le combattent sans ménagement. Il en va de même des figures de proue de ce mouvement qui se couperaient de la base et signeraient leur mort politique et militante en acceptant des postes et en s'associant à une démarche politique d'un système qu'ils ont combattu vigoureusement avant et après le 22 février. C'est dire que lorsque la configuration de l'Algérie de demain fait l'objet d'un large consensus au sein de la société, tout le reste – le contenu des réformes à mener, le choix des hommes pour conduire les mutations – coulera de source.