Nous quittons Tamanrasset par bus à destination de In Salah. 700 km en pleine transsaharienne au long desquels nous longeons le grand projet d'adduction d'eau vers Tam, réalisé par un consortium chinois. Timimoun. De notre envoyé spécial Impressionnant ! De In Salah, il nous faut encore faire 400 km de route via Aoulef et Reggane avant d'arriver à Adrar. D'Adrar, un minibus nous conduit à notre destination finale : l'Oasis rouge. 200 km de bonheur. 1300 km au total. Ce qu'il y a lieu de noter, outre la somptuosité du paysage saharien à la lisière du grand erg occidental, c'est la qualité du réseau routier. Impeccable. A peine franchie l'emblématique arcade nous souhaitant la bienvenue dans la ville ocre, que l'on tombe nez à nez sur cette annonce inscrite à même un mur de la rue Palestine, en grands caractères : « 1630 m2 A LOUER. TEL :… » Le propriétaire, qui s'avère être un professeur de génie civil à l'université d'Adrar, nous explique qu'il souhaite louer son terrain à l'effet de lancer un projet d'investissement. Nous nous rendrons assez vite à l'évidence que la célèbre « Oasis rouge », qui est l'une des villes sahariennes les plus attractives, n'a pas grand-chose à offrir en termes immobiliers pour qui veut acheter un bien clé en main. Comme à Tamanrasset, le marché immobilier en est à ses premiers balbutiements et fonctionne au bouche à oreille. C'est ce que nous confirme le gérant d'une agence immobilière originaire de Batna, rencontré à Adrar : « Notre agence est la seule sur la place d'Adrar. Croyez-moi, en trois ans d'existence, je n'ai pas conclu la moindre transaction. Je vais bientôt mettre la clé sous le paillasson. » En réalité, il s'agit d'un bureau de consultation juridique qui s'occupe, entre autres, des affaires immobilières, explique notre agent. Un parc locatif saturé Il faut noter d'emblée que le produit qui marche le plus à Timimoun, ce sont les terrains pour construction. Des terrains acquis auprès de particuliers, l'agence foncière ne disposant pas d'assiettes. Comme à Tamanrasset et à Adrar, il n'existe pas de professionnels de l'immobilier dans la capitale du Gourara. Le parc locatif est très restreint, au grand dam de tous les « Nordistes » qui souhaitent louer quelque chose pour pouvoir ramener leur famille. C'est le cas de ce policier, originaire de Mostaghanem, qui témoigne : « Je loge dans le dortoir de la police. Voilà des années que j'essaie d'obtenir un logement, en vain. Je suis coupé des miens. Je ne vois mes enfants qu'une fois tous les deux ou trois mois. J'ai cherché à louer, mais je n'ai pas trouvé quelque chose à ma convenance. Le loyer devient cher et c'est de l'argent jeté par la fenêtre. » Un jeune pâtissier originaire de Tizi Ouzou abonde dans le même sens : « Il est très difficile de trouver une location à Timimoun. Je partage une vieille masure en toub avec des copains à 2000 DA le mois et sans la moindre commodité. » La rue Emir Abdelkader grouille de boutiques de prêt-à-porter, de taxiphones, de téléphonie mobile, etc. La vieille oasis ocre s'étire et se modernise à vue d'œil. Nous faisons escale dans une charmante boutique traditionnelle tenue par un passionné de l'artisanat saharien : Miloud Moulay Lakhdar. Miloud souligne que mis à part les « mawssem » et les réveillons qui drainent du monde vers Timimoun, ce n'est pas vraiment le rush. « Les gens qui viennent ici pour s'installer sont très peu nombreux », tranche-t-il. « Ceux qui viennent ne s'installent pas vraiment. Ils utilisent plutôt leur maison comme résidence secondaire. La plupart qui achètent n'assument pas la vie qui va avec. Il faut avoir atteint une certaine forme de sagesse pour accepter cette vie. Et puis, venir à Timimoun pour faire quoi si vous n'y avez pas un travail ? » Dans les rues de Timimoun pourtant, la présence « nordiste » est très visible à travers une pléthore de petits métiers : coiffeurs, garçons de cafés, cuisiniers, hôteliers, tenanciers de cybercafés, manœuvres en bâtiment, etc. Rabah, 25 ans, un pizzaïolo originaire de Bouira, raconte : « Je suis arrivé à Timimoun, il y a seulement quelques mois. C'était pour moi un défi. Un ami qui était installé ici m'a incité à venir tenter l'aventure, et je suis là. Comme il n'y a pas beaucoup de pizzerias dans le coin, c'est une aubaine pour moi. » Le S'boû, l'Ahellil et le « fantasme » Timimoun Amine, un jeune apprenti courtier, nous fait visiter une maison en R+1 de construction récente mise en vente à la périphérie de la ville. Prix : 2 millions de dinars. Et de détailler la fourchette des appartements érigés dans des cités relativement récentes : « Un F3 en pas de porte coûte dans les 60 millions de centimes, un appartement avec acte dans les 110 à 120 millions et une maison en toute propriété avec un petit jardin dans les 200 à 300 millions en moyenne. » L'on apprend au passage que nombre de personnalités ont acheté des terrains dans la région en guise de villégiature saharienne, comme c'est le cas du président Ben Bella. « Les gens du Nord achètent un terrain, avec des palmiers de préférence, le cernent d'une clôture et l'équipent du minimum de commodités. Certains y installent juste une tente pour y passer leurs séjours durant les fêtes du S'boû. » De fait, le s'boû de Timimoun, qui correspond aux fêtes du Mouloud, est l'événement le plus couru de la région. C'est même devenu un important produit touristique mis en avant par les agences de voyage. Il draine, chaque année, des milliers de touristes qui se font héberger comme ils peuvent. C'est aussi le cas du festival de l'Ahellil qui est le must du patrimoine musical local. Ces deux événements attisent le « fantasme » Timimoun. Mohamed, un jeune architecte exerçant dans un bureau d'études, souligne que cet intérêt potentiel pour Timimoun butte contre une offre immobilière étriquée : « L'Etat doit construire de nouveaux logements si on veut attirer du monde et fixer les gens. Malheureusement, tous les projets sont centralisés au chef-lieu de wilaya, à Adrar, et nous, il nous échoit des miettes. » Notre architecte fait remarquer que les instruments de régulation du foncier à Timimoun commencent à peine à porter leurs fruits, et un long travail de cadastre reste à faire pour régulariser les biens fonciers. « Beaucoup de terrains n'ont pas d'actes de propriété. Les transactions se font à l'ancienne, sur le mode ‘‘oûrfi'' », dit-il. Malgré cette anomalie, Mohamed nous confirme la tendance à la hausse du prix du foncier : « Cela tourne autour de 6000 DA le mètre carré en périphérie. Au centre-ville, c'est plus cher. » Un fonctionnaire de l'APC nous propose un terrain familial situé au cœur de l'oasis, d'une superficie de 840 m2 pour la bagatelle de 800 millions de centimes, soit une moyenne de 9500 DA le mètre carré, ce qui corrobore cette inflation. « Les gens du Nord ont fait flamber le prix des palmeraies », lance un vendeur d'articles artisanaux tenant boutique pas loin de l'hôtel Gourara. « Une palmeraie s'est vendue, il y a dix ans, pour la modique somme de 7000 DA. Aujourd'hui, son prix dépasse les 500 millions de centimes. » Certains ont acheté des terrains pour en faire des campings, d'autres ont réalisé des maisons d'hôtes. Cela pour compenser le manque en hôtellerie, Timimoun ne disposant que de trois hôtels. Des opportunités dans le vieux Ksar Outre les lots de terrain, le vieux ksar suscite des convoitises. Véritable merveille architecturale, la vieille cité labyrinthique est une attraction à elle seule et l'un des joyaux de Timimoun. Les inconditionnels de Timimoun, qui souhaitent y avoir un pied-à-terre, trouveront certainement leur bonheur dans ce dédale magnifique. Problème : les habitations du vieux ksar, construites à la base en pisé, sont pour la plupart délabrées. Autre problème : la majorité de ces habitations n'ont pas d'acte « malkiya » (propriété). En revanche, on gagne sur le prix. Une petite maisonnette avec une cour peut, ainsi, être cédée pour 200 000 ou 300 000 DA. Et les maîtres des lieux ne voient guère d'inconvénient à l'idée d'avoir de nouveaux voisins venus du « chamal ». Abdelmoula Daouli, employé à l'Office de tourisme de Timimoun, plaidera même énergiquement pour un exode massif vers le Touat et le Gourara : « Dites aux gens du Nord de venir au lieu de rester entassés là-bas les uns sur les autres. On veut que les gens viennent de partout. Nous voulons que les choses bougent. Plus il y a de mouvement, plus il y a d'investisseurs, et celui qui aidera à diminuer, un tant soit peu, le chômage de nos jeunes, nous lui serons reconnaissants. Il y a matière à investir dans l'agriculture, on peut monter des usines de conditionnement de tomates, de dattes, et le terrain industriel est disponible à volonté. Il y a de belles opportunités à saisir », nous harangue-t-il. A se fier au nombre d'agences de transport plantées sur l'artère principale de Timimoun, on mesure en tout cas l'ampleur de la mobilité entre le Tell et le Gourara. Des nuées de bus essaiment aux quatre coins du pays. Il y a quotidiennement des départs vers Alger, Oran, Sétif, Constantine, Ouargla… La capitale est à 1200 km, soit un peu plus d'une journée de trajet, pour 1300 DA. Nous sautons dans un bus à destination de Béchar, avec le désir tenace de revenir au plus vite à Timimoun. Comme résidants…