A Marseille, tous les visiteurs du Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (Mucem) restent subjugués par ce qu'ils ressentent devant le bâtiment qui abrite ce lieu de culture qui a changé la cité phocéenne. On effleure du regard ce qu' y à mis l'architecte : son âme. Il faut dire que Rudy Riccioti est quelque peu un poète de l'architecture moderne. Les Editions de l'Aube (84 – La Tour d'Aygues) ont fort à propos publié un nouvel ouvrage consacré à Rudi Riccioti, Je te ressers un Pastis ?, avec l'accroche Dialogue avec moi-même. Le directeur de la collection, José Lenzini, écrivain et essayiste, né en Algérie, donne ici la parole à un architecte né également en Algérie, à Kouba, en 1952, et devenu un maître incontesté de son art. Depuis le sud de la France où il réside, à Cassis, parlant de l'univers méditerranéen qui le «fascine autant qu'il l'angoisse», Rudi Riccioti a cette belle échappée de mots qui touchent le cœur de cible : «Je suis accoutumé à sa présence maléfique et violente, je la surveille du coin de l'œil et je vois bien qu'elle n'est pas nette. Elle incarne une conjuration permanente. Toutes les cultures qui suivent et qui bordent la Méditerranée sont des cultures paranoïdes chroniques. Il n'y en a pas une pour arranger l'autre, des Grecs aux Turcs, aux Italiens, des Corses aux Espagnols, des Maltais aux Maghrébins et à tous les autres par extension anthropologique. Nous sommes, en Méditerranée, simultanément entre perspective historique et hystérique, une obligation esthétique… Soit une romance avec le sourire !» Plus loin, dans ce coup de cœur perturbateur, qu'il délivre comme à l'accoutumée avec franchise, il parle de son rapport au Mucem, planté sur les quais de Marseille, véritable appel à rejoindre le grand bleu de la mer : «Lorsque j'ai abordé le projet, je l'ai fait la peur au ventre. Il y avait dans cet enjeu, à la clé, le »salaire de la peur » – rappelle-toi le film. Tu transportes du TNT dans un gros camion Berliet, de la nitroglycérine, et tu peux sauter en passant par la moindre ornière.» On ne pensait pas que la création architecturale pouvait être aussi redoutable, mais l'image vaut son pesant de poudre. Rudi Ruccioti précise, persistant et signant : «C'est d'ailleurs ce qui est arrivé à mes confrères également en lice : ils ont tous explosé en plein vol parce qu'ils ont été fascinés par la Méditerranée. Ils ont été éblouis comme Icare par le soleil (…) La Méditerranée est un éblouissement extrêmement périlleux», conclut-il avant d'expliquer plus loin : «Le fait méditerranéen est marqué de minéralité. Il n'est pas dans le cosmétique, il n'est pas dans le consumérisme ou dans le neuro-linguistique.» Avec ce cri du cœur, parmi d'autres : «La Méditerranée, je l'ai dans la peau et je l'abomine. Elle est présente en permanence, elle me rend dingue. (…) C'est une mer de tourmente proche et de déchirement quand tu t'en éloignes.» Un entretien de 120 pages qui se lit comme on se parle, à hauteur d'homme. Face à la mer !