Cannes a joué contre le cinéma, Cannes a plié devant la haine. Et cela n'honore pas le festival qui, pourtant, par le passé, a su maintes fois s'élever au-dessus des passions et des procès d'intention pour ne reconnaître que l'art cinématographique et les vérités des messages : d'anciens jurys ont détecté de grandes œuvres, passées alors inaperçues dans la critique. Il est vrai que cette édition 2010 était toute particulière. Avant même qu'il ne soit projeté, le film de Rachid Bouchareb, Hors-la-loi, a été livré en pâture par l'extrême droite française. Elle a ratissé large, comme d'habitude, dans les rangs des nostalgiques de l'Algérie française recevant toutefois, cette fois-ci, en renfort des personnalités de la droite au pouvoir, y compris des élus. Ceux-ci ont agi en mission commandée, grisés par l'air du temps de la France sarkozienne qui est le rejet de toute reconnaissance des crimes de la colonisation sur fond de glorification de ce passé. La campagne menée tambours battants contre Hors-la-loi, y compris dans la rue, visait à décrédibiliser l'œuvre de Rachid Bouchareb auprès du public et surtout peser sur les choix du jury. Par manque de courage ou d'indépendance, ce dernier ne sut pas faire face à l'hystérie des ultras. Il plia honteusement en ne décernant aucune distinction au film alors même que l'ensemble des critiques lui reconnaissaient des qualités esthétiques indéniables. Début des années 60, la Bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo subit un sort plus dramatique : le film fut boycotté par tous les festivals en France et les salles qui le projetèrent victimes de plasticage par les nostalgiques. Mais la reconnaissance il l'eut dans les autres pays et tout récemment au Congrès américain tandis que le jury de Cannes de l'année 1975 eut le courage de décerner la Palme d'or au film algérien Chronique des années de braise de Lakhdar Hamina. Il est vrai que l'œuvre Hors-la-loi de Rachid Bouchareb a réveillé une bête immonde en allant jeter un regard là où s'est déroulé un des plus grands crimes commis par la France coloniale : le massacre de 45 000 Algériens civils en 1945 à l'est du pays. Un crime jamais évoqué, encore moins reconnu dans l'Hexagone à ce jour. Un massacre à large échelle relevant du crime contre l'humanité. Reste que le ratage honteux de Cannes ne viendra contrarier ni l'avenir du film ni les projets du réalisateur, nationaux (l'Emir Abdelkader ?) et internationaux (Bob Marley). Le monde entier a désormais entre les mains un témoignage, même indirect et par la fiction du massacre de Sétif, Kherrata, Guelma. Une brèche dans la stratégie de l'amnésie développée depuis un demi-siècle par la France officielle, suffisante pour rendre dérisoire les menaces à la bombe auxquelles sera inévitablement confronté le film dans les salles de cinéma françaises.