À l'étranger souvent, pour demander des nouvelles du cinéma algérien, des confrères journalistes demandent : « Que devient Lakhdar Hamina ? » Comme si lui seul, comme une major company, la succursale algérienne de la Twentieh Century Fox, est le premier et le seul nom qui vient à l'esprit dès qu'il s'agit du 7e art en Algérie. Mais c'est vrai que Hamina a été un éminent artisan, un authentique artiste au cours des années où le cinéma algérien étonnait le monde par son extrême vitalité, par son heureuse originalité. Son œuvre, aujourd'hui montrée à l'Ima (Institut du monde arabe à Paris), a été une belle école de cinéma, une sorte d'Institut vivant de l'art cinématographique où l'émotion naît de la simple vision des images. L'Ima montre Hassen Terro, Le Vent des Aurès, La Dernière image, Décembre et l'œuvre la plus caractéristique du cinéaste : Chronique des années de braise. Il ne s'agit pas là d'une œuvre anodine. Aucun film de Hamina jusqu'à maintenant n'a pris un pli. Chaque tournage qu'il a entrepris a été comme une sorte de défi. Et chacun sait qu'il a une manière bien à lui de mettre en scène une histoire. Et Hamina n'a pas raconté n'importe quelle histoire, l'apport le plus décisif de Lakdhar Hamina à l' Algérie (et au monde arabe puisque, c'est semble-t-il, ce qu'on fête aujourd'hui à Alger), c'est que, un cinéaste du « Tiers-Monde » ne peut pas toujours être un artiste vulnérable et faible dans le contexte d'une compétition internationale où sont présentes les figures les plus représentatives du cinéma mondial : Hamina a réussi à faire voler en éclat la sereine puissance du cinéma occidental en remportant en 1975 la Palme d'Or au Festival de Cannes. David face aux goliath qui faisaient office de prétendants cette année-là : Bob Fosse, Risi, Antonioni, Herzog... Quelques remarques gênantes et schématiques publiées, à l'époque, n'ont pas empêché les cinéphiles algériens de sauter de joie à l'annonce du palmarès cette année-là, lu par la présidente du jury Jeanne Moreau entourée des autres membres : Anthony Burgess, Pierre Salinger, André Delvaux, George Roy Hill, Léa Massari, Fernando Rey... La grâce de la mise en scène, l'émotion, l'esthétique flamboyante ont soudain surgi sur l'écran du Festival de Cannes et séduit l'ensemble du jury. On a aussitôt cherché à savoir quel autre cinéaste pouvait avoir influencé Lakhdar Hamina ? King Vidor, Eisenstein, Dovjenko ? Le cinéma russe a su faire de très beaux films et Hollywood aussi. Il reste que Chronique des années de braise est une œuvre qui se suffit à elle-même et se situe en dehors de toute influence, de toute classification. Les Américains à Cannes disaient (paraît-il) : « Mais pourquoi Hamina n'a pas pris Omar Sharif et Sophia Loren, une histoire pareille aurait rapporté des millions et la gloire... » Le réalisateur à l'époque n'avait pas une telle ambition. Une seule chose l'intéressait : installer le spectateur devant cette période douloureuse de l'Histoire de l'Algérie (1939-1954). Celle qui annonçait clairement le soulèvement qui va suivre. L'hommage de l'Ima prouve que la traversée du désert n'est pas l'oubli.