Les protestataires du village de Tifra ne décolèrent pas et ne comptent pas lâcher tant que leur plateforme de revendications n'est pas satisfaite. Cela fait exactement 77 jours que le siège de l'APC de Tifra est fermé par les habitants du village éponyme, sans que pointe à l'horizon la moindre lueur de résolution de ce conflit, qui ne cesse, de jour en jour, de prendre de l'ampleur. Ce qui était au départ un bras de fer entre les habitants de Tifra et le P/APC est devenu présentement une affaire communale. Dans ce cadre, une coordination de villages, créée à l'occasion, dans le prolongement de ce conflit, vient de lancer un appel pour la tenue, ce mercredi, d'un sit-in devant le siège fermé pour exiger sa réouverture. Les auteurs de l'appel justifient leur action par les différents blocages que vit la commune en raison de cette fermeture, touchant entre autres les salaires des communaux, le transport scolaire, les cantines, l'hygiène et la collecte des ordures. Au-delà du droit de chaque village de revendiquer ce qu'il estime utile pour son bien-être, cet appel est jugé par les habitants du village de Tifra comme «porteur d'éventuels dérapages et comme une incitation indirecte à la violence». Chose qu'ils condamnent fermement et endossent l'entière responsabilité des conséquences fâcheuses qui peuvent en découler aux initiateurs de cette action. «Des villages de la commune ont, à maintes reprises, procédé à la fermeture du chemin de wilaya ou du siège de l'APC sans que jamais notre village se soit interposé ou s'ingère dans ces conflits opposant l'autorité communale aux citoyens de ces villages», soutient un habitant de Tifra, étonné par cet appel qu'il considère comme inapproprié. Dans leurs déclarations à El Watan, des habitants de Tifra ont précisé, à ce sujet, que si certains villages ont préféré, dès le départ, rester en dehors du conflit, d'autres par contre, après que leurs représentants se sont déplacés au village de Tifra et ont pris connaissance des revendications soulevées, n'ont pas manqué d'exprimer leur solidarité et leur soutien aux contestataires. Depuis le retour du P/APC de congé, plusieurs tentatives de conciliation ont été menées, soit de sa propre initiative ou par l'intermédiaire de certains responsables de villages et cadres de la commune. Deux rencontres ont eu lieu, à cet effet, les 6 et 8 de ce mois, respectivement à Ighil-Thala, douar Ikedjane, et au CSP du chef-lieu de commune. Ceci sans compter les réunions internes regroupant les élus et les travailleurs de l'APC. Tentatives vaines Toutefois, toutes ces tentatives n'ont rien apporté de nouveau, sinon de corser davantage le conflit. Les rumeurs qui parviennent au village de Tifra faisant état de la volonté de certains représentants d'autres villages d'ouvrir eux-mêmes par la force le siège communal n'ont fait qu'ajouter de l'huile sur le feu. Dans les meetings publics de suivi du conflit qui se tiennent régulièrement à la place Azellal, les responsables du mouvement rappellent souvent que leur action est dirigée uniquement contre le P/APC et son exécutif et estiment que s'il y a pourrissement aujourd'hui, la responsabilité incombe essentiellement à ces derniers. Le calendrier imparti à ces rencontres (deux mois après le début du conflit) et l'objectif qui leur est assigné (l'ouverture du siège de l'APC) sont les raisons qui ont fait que pour les habitants de Tifra, ces initiatives sont accueillies avec indifférence. La seule note positive que les protestataires accordent à ces rencontres est que les participants appellent à faire prévaloir la sagesse et le sens de responsabilité en privilégiant la voie du dialogue pour aplanir les dissensions à l'origine de ce conflit. Mais, avertissent-ils, si dialogue il y a, ce sera sans la participation du P/APC et du chef de daïra de Sidi Aïch, qu'ils accusent de ne pas respecter leurs engagements. Pour preuve, ils exhibent, à chaque occasion, les procès-verbaux de réunions, notamment ceux cosignés en 2017, dont les contenus ne sont pas, à ce jour, concrétisés. Pour le P/APC, Meksem Rabah, qui considère la fermeture du siège de l'APC injustifiée et injustifiable en exigeant sa réouverture immédiate, c'est un groupe de citoyens du village Tifra, avec «l'implication de certains élus de l'opposition» auxquels il reproche «de se nourrir toujours de la logique de la campagne électorale des élections locales de 2017, qui sont à l'origine de cette crise et de son maintien». Au village Tifra, on fait entendre un autre son de cloche. Pour les responsables du village, c'est le P/APC, d'abord, par son recours intempestif au dépôt de plaintes et ensuite par sa «fuite en avant», qui est responsable de la persistance du conflit. Et s'il y a marasme et conséquences négatives aujourd'hui sur les administrés, il en porte, selon eux, l'entière responsabilité. Pour le moment, parmi les conséquences visibles de ce conflit, il y a lieu de citer le non-paiement des salaires de plus de cent cinquante travailleurs de la commune, l'arrêt de la collecte des ordures ménagères et le blocage total des activités des différents services de l'APC. Autant dire que toutes les activités de l'APC sont au point mort. Pour une sortie de crise Pour les porte-parole du village de Tifra, ces conséquences négatives sont imputables à la seule mauvaise gestion du P/APC et de son équipe. Au tout début, expliquent-ils, l'annexe d'Ikedjane était ouverte, «s'il l'aurait voulu, il aurait pu payer les travailleurs et continuer à faire fonctionner la majorité des services et même tenir des sessions de l'Assemblée populaire, mais cela n'était pas dans son agenda». A ce sujet justement, cinq élus de l'opposition (FFS et Awal d awal), à travers un communiqué virulent, tout en condamnant la fermeture aux desseins inavoués de cette antenne qui assurait le service minimum depuis le début de la crise, soutiennent que la fermeture de l'annexe d'Ikedjane n'a d'autres objectifs que d'alimenter davantage le désarroi et de jouer la carte du pourrissement. Pour les protestataires, la solution pour le dénouement rapide de ce conflit réside dans le départ du P/APC et de son équipe ou dans l'envoi en urgence d'une commission d'enquête et d'audit comme exigé dès le premier jour de la contestation. Epousant le mot d'ordre majeur du hirak national, les protestataires crient à leur tour «APC dégage». D'autant plus que l'affaire a pris une toute autre dimension. Depuis que le P/APC a recouru au dépôt de plainte, le village a, de son côté, déposé une plainte contre le P/APC auprès de la cour de justice de Béjaïa et du tribunal de Sidi Aïch, ainsi que devant le groupement de la gendarmerie de Béjaïa et de la sûreté de wilaya portant sur divers chefs d'inculpation en relation avec la plateforme de revendications. Déterminés, ils affichent actuellement leur volonté de maintenir le blocus du siège de l'APC jusqu'à satisfaction de leurs doléances. Contrairement à 2017, où ils ont accepté de s'asseoir à la table du dialogue sans qu'aucune suite ait été donnée à leurs doléances, cette fois-ci ils annoncent que c'est leur plateforme établie en début de juillet passé qui est leur ambassadrice et que les parties qui veulent dialoguer commencent d'abord par concrétiser les points soulevés. Il est vrai que tout le monde plaide pour le retour à la normale, que même dans le village de Tifra il se trouve des personnes excédées par ce conflit qui n'a que trop duré, mais il est vrai aussi que les villageois ne veulent pas que leur mouvement s'achève en queue de poisson, sans que les plus élémentaires de leurs revendications soient effectivement concrétisées sur le terrain.