La convocation du corps électoral, le 15 septembre dernier par le chef de l'Etat intérimaire, Abdelkader Bensalah, s'est accompagnée d'une vague d'arrestations de manifestants du hirak et de figures de proue du mouvement populaire, à l'instar de Samir Belarbi, interpellé lundi dans les mêmes conditions que Karim Tabbou, placé sous mandat de dépôt pour «atteinte au moral de l'armée». En vérité, les arrestations se sont multipliées depuis le discours du chef d'état-major, Gaïd Salah, annonçant la date de la convocation du corps électoral et ses multiples interventions qui suivirent, où il exprimait sa conviction que «l'élection présidentielle se tiendra dans les délais prévus» et que rien ni personne ne pourra arrêter le train du processus électoral en marche. Le message, comme pour l'histoire du drapeau amazigh, a été recu cinq sur cinq par les forces de sécurité, qui semblent être passées à une phase de gestion plus musclée du hirak en procédant à des interpellations massives, suivies de présentation quasi systématique devant le juge. Les chefs d'inculpation ont également évolué vers une tendance lourde à la criminalisation des faits. On est passé de l'«outrage à corps constitué» du début du hirak au gravissime délit d'«atteinte à la sûreté de l'Etat». Comment le péril de ce complot présumé, que l'on découvre aujourd'hui dans le mouvement populaire, a-t-il pu échapper à la vigilance de l'Etat tout au long de ces 8 mois de hirak, dont les décideurs n'ont pas cessé de louer son caractère pacifique et la maturité politique des manifestants ? Le chef d'état-major lui-même ne rate aucune occasion, lors de ses interventions, pour rappeler la volonté de l'institution militaire d'«accompagner le hirak jusqu'à la satisfaction de ses revendications». L'arrestation des deux figures emblématiques du mouvement populaire, Karim Tabbou et Samir Belarbi, traduit une volonté manifeste du pouvoir de frapper le hirak à la tête pour le neutraliser et pacifier le champ politique afin de créer un climat «apaisé» pour la tenue de l'élection présidentielle projetée. Le geste a été perçu par la rue comme une déclaration de guerre. L'accusation d'«atteinte à la sécurité de l'Etat» proférée contre les prévenus et à travers laquelle le pouvoir pensait mobiliser les manifestants du hirak contre leurs leaders n'a pas fonctionné. Elle a eu, au contraire, un effet boomerang qui a pu être constaté lors des marches de vendredi dernier. Sans le vouloir, le pouvoir a fait de Karim Tabbou un héros national. L'histoire nous a pourtant montré que cette stratégie d'épuration des élites des révolutions à travers le monde, dans le but de les couper de leurs peuples, comme cela a été également vérifié durant la Guerre de Libération nationale, est contre-productive et fatalement vouée à l'échec. La solution à la crise était possible si le pouvoir avait eu le courage politique d'engager un dialogue avec les représentants authentiques du hirak, auxquels on a substitué et préféré, dans le cadre des initiatives politiques engagées, des représentants qui ne représentent qu'eux-mêmes. Il est établi que l'on ne peut rien construire de solide et de durable avec les faux consensus et la politique du fait accompli. L'Algérie est aujourd'hui dangereusement coupée en deux. La convocation du corps électoral n'a pas réglé la crise qui secoue le pays, comme l'atteste la poursuite du mouvement populaire, auquel l'actualité va certainement servir de puissant combustible d'ici l'échéance de la présidentielle. Toléré (instrumentalisé ?) pour démanteler le régime de Bouteflika et la «bande», le pouvoir ne pourra pas s'encombrer longtemps encore du hirak, au risque de compromettre sa feuille de route politique de l'organisation de l'élection présidentielle. De son côté, le mouvement populaire ne compte pas abdiquer. Les prochains jours s'annoncent chargés d'inquiétude pour la stabilité du pays.