Le pouvoir judiciaire est mis à l'épreuve avec l'emprisonnement du candidat à la présidentielle, passé au deuxième tour, Nabil Karoui l L'autre candidat, le favori Kaïs Saied, suscite des interrogations concernant son profil politique l L'exception tunisienne se poursuit. Le résultat du premier tour de l'élection présidentielle en Tunisie a révélé le fond de la pensée de la majorité des Tunisiens. Deux candidats atypiques ont été choisis pour disputer la finale de la course à la magistrature suprême. Maintenant, si une bonne partie des médias et de la classe politique tunisienne veut qualifier Kaïs Saied de «populiste rêveur», voire de «gauchiste» pour certains, ou de «salafiste» pour d'autres, ou qu'elle accuse Nabil Karoui d'«opportuniste», voire de «mafiosi», c'est l'évaluation, par l'élite, du choix des électeurs. Avec du recul, il s'agit surtout de comprendre les enjeux du prochain scrutin, notamment en matière d'égalité des chances entre les candidats. Pour le moment, la date du deuxième tour n'a pas encore été fixée ; cela dépendra du résultat des recours devant le tribunal administratif. L'ISIE a indiqué que ce serait le 6 ou le 13 octobre. Concernant les retombées juridiques de la présence d'un candidat finaliste en prison, le professeur Yadh Ben Achour a réagi à cette question, posée par le site Leaders, en lançant un appel aux autorités publiques – toutes les autorités publiques, gouvernementale, politique, présidentielle, judiciaire –afin de «trouver une solution à ce problème pour remettre en liberté ce candidat». Parce que sinon, toujours selon le Pr Ben Achour, «nous allons avoir des problèmes extrêmement graves sur la validité de l'ensemble des élections, étant donné que l'un des principes les plus fondamentaux de la participation électorale, le principe d'égalité des chances entre les candidats, est rompu si jamais, et j'espère que ce ne sera pas le cas, l'un des candidats est maintenu en prison». Le Pr Ben Achour rappelle que «cette rupture manifeste de l'égalité des chances entre les candidats est condamnée par le droit international, notamment par le Pacte sur les droits civils et politiques, la Charte africaine des droits de l'homme, ainsi que toutes les conventions que la Tunisie a ratifiées». Risques d'annulation Entre-temps, l'Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) a, comme pour le premier tour, demandé au pouvoir judiciaire de permettre au candidat Nabil Karoui d'assurer sa campagne électorale. Le président de l'ISIE, Nabil Bafoun, a demandé au président de la République par intérim, Mohamed Ennaceur, d'intervenir afin de pallier cette problématique en matière de respect de la Constitution. Par ailleurs, la défense de Nabil Karoui a essuyé, jusque-là, des rejets de ses demandes pour sa libération. Les avocats de Karoui disent attendre le recours en appel devant les juridictions du pôle judiciaire économique et financier, dont la date n'a pas été fixée. La question d'égalité des chances des candidats a été soulevée par les partenaires internationaux de la Tunisie, auprès des autorités locales, qui se cachent derrière l'indépendance de la justice. La mission d'observation des élections, déléguée par l'UE, a attiré l'attention sur ce manquement dans son rapport. Si le magnat des médias Nabil Karoui souffre de son arrestation, l'universitaire Kaïs Saied était plutôt ignoré, malgré ses multiples interventions sur les médias. Son indépendance avait, par le passé, affaibli son «attraction médiatique», malgré sa montée dans les sondages. Aujourd'hui qu'il est passé au deuxième tour, en position de favori, il suscite la convoitise des médias, mais, aussi, des listes candidates aux législatives, partisanes ou indépendantes, qui disent l'avoir soutenu. Du coup, une pléiade de mouvances se réclame de Kaïs Saied, le poussant à prendre de la distance. Il a ainsi confirmé, dans une vidéo postée sur sa page Facebook le 21 septembre, qu'il n'était «absolument pas concerné par les élections législatives». Eclaircissements Le candidat a affirmé qu'il ne soutiendra aucune liste partisane ou indépendante aux législatives et que son choix est fait «par principe puisqu'il s'agit d'une question fondamentale pour lui». Kais Saied a toujours été favorable à un scrutin uninominal et non à un scrutin de listes, comme c'est le cas en ce moment en Tunisie. A rappeler que plusieurs partis politiques et personnalités, conservateurs et modernistes, ont exprimé leur soutien à cet universitaire, à commencer par les islamistes d'Ennahdha, le Courant démocratique de Mohamed Abbou, le Rassemblement de la dignité de Seifeddine Makhlouf, ou encore les candidats qui ont échoué à la présidentielle comme Mohamed Hechmi Hamdi, Mohamed Lotfi Mraihi, Hammadi Jebali, Safi Saïd ainsi que l'ex-Président Mohamed Moncef Marzouki. Le candidat Kais Saied rejette ainsi ces appels du pied des partis et listes indépendantes, engagées dans les législatives, en réitérant son engagement à rester à l'écart des tiraillements politiques et des tractations autour du scrutin législatif. Par ailleurs, concernant le positionnement politique de Kais Saied, ce dernier a réfuté, dans une interview au magazine L' Obs les informations selon lesquelles il a reçu le soutien d'un parti extrémiste, Hizb Ettahrir, ce qui a conduit à le qualifier de «salafiste». «Est-ce que je ressemble à un salafiste ? Je cite Voltaire et Victor Hugo, puis-je être un salafiste ? Est-ce que parler à quelqu'un vous fait appartenir à son mouvement politique ?» a-t-il répondu à la journaliste. Sur la question de l'égalité dans l'héritage, Kaïs Saied a insisté sur la nécessité de respecter la loi et de fonder le système sur une distribution équitable, affirmant que l'équité est l'objectif et non pas l'égalité. Concernant la question de l'homosexualité, Kaïs Saied a dit défendre le respect de la vie privée, en affirmant que ni l'EEtat ni les autorités publiques ne pouvaient s'ingérer dans des affaires privées. Il a néanmoins différencié la part de la liberté individuelle entre la sphère privée et publique, puisqu'il y a des valeurs sociales à respecter dans l'espace public. – L'ex-président tunisien Ben Ali enterré à Médine Le président tunisien déchu Zine El Abidine Ben Ali, décédé jeudi, a été enterré samedi dans la ville sainte musulmane de Médine, dans l'ouest de l'Arabie saoudite. L'ancien chef de l'Etat tunisien, qui est mort à Jeddah, au sud de Médine, a été inhumé dans le cimetière d'Al Baqi. Zine El Abidine Ben Ali avait été chassé par la rue le 14 janvier 2011 après avoir installé un régime policier en Tunisie deux décennies durant. Son décès a été passé sous silence par les médias saoudiens. Il n'a pas fait la Une de l'actualité ni des conversations en Tunisie, alors que le pays s'apprête à élire ses députés le 6 octobre, puis à choisir un Président entre deux outsiders : un homme d'affaires emprisonné et un universitaire prônant une décentralisation radicale. A. Z.