La contestation populaire pour réclamer le changement du système prend une nouvelle tournure. Alors que les étudiants sont sortis hier massivement à Alger et dans d'autres villes du pays pour leur 31e marche, une nouvelle forme de contestation a été enclenchée à Béjaïa. A l'appel de partis et d'associations de la société civile signataires de la Convention de Béjaïa, qui a décidé, en août dernier, de la mise en place d'un plan d'intensification de la lutte pour le changement appelé à s'élargir au niveau national, une grève générale d'une journée touchant les administrations publiques, l'université et le secteur de la formation professionnelle a été lancée hier dans cette wilaya pour exprimer le refus du fait accompli de la présidentielle du 12 décembre prochain et la libération des détenus d'opinion. Cette forme de contestation, qui a germé dans les esprits des hirakistes depuis plusieurs semaines à la faveur des slogans récurrents («la désobéissance civile arrive…») apparus lors des marches populaires appelant à la désobéissance civile, pourrait faire boule de neige à travers le pays pour une action nationale d'envergure. C'est là un nouveau pas de franchi dans la radicalisation du mouvement populaire qui n'a pas été facile à prendre, compte tenu des craintes et des avis controversés que suscite au sein de l'opinion cette forme de revendication d'essence politique, qui divise les Algériens eu égard à son coût social et économique, sans parler des conséquences que cela pourrait induire sur la stabilité du pays en cas de dérapage. La grève générale d'une journée à laquelle ont appelé hier la société civile et le mouvement associatif apparaît, à cet égard, comme un test crucial du mouvement populaire pour mesurer les capacités de mobilisation par rapport à ce nouveau front et son impact sur le cours des événements. Et ce n'est certainement pas le fruit du hasard si le coup d'envoi du durcissement de la confrontation avec le pouvoir a été donné à partir d'un bastion traditionnel de la lutte pour les libertés, la démocratie et le changement du système ! En verrouillant et en balisant le champ politique avec pour seul horizon flou la feuille de route du pouvoir, centrée sur la tenue de la présidentielle menée au pas de charge et dans un climat politique et sécuritaire délétère, avec les arrestations en série et les discours enflammés du chef d'état-major, on a soufflé sur les braises en poussant la rue à la radicalisation. Pour l'heure, le dialogue entre le hirak et le pouvoir à travers les manifestations de la rue et les slogans clamés n'est pas irrémédiablement rompu comme l'attestent le caractère toujours pacifique des marches et les appels sur les réseaux sociaux à conserver, en toute circonstance, cette dynamique de révolution tranquille et pacifique du mouvement du 22 Février, en dépit des tentatives répétées du pouvoir pour le dévoyer et le pousser à la faute. Tout en demeurant attachés viscéralement aux vertus de la non-violence et de la lutte pacifique pour le changement du système, forts instruits des expériences passées, les Algériens qui se reconnaissent dans les revendications du hirak sont en vérité, depuis plusieurs mois, déjà moralement et politiquement dans un état d'esprit de désobéissance qui se nourrit de l'obstination du pouvoir de tourner le dos à la volonté populaire. Ils l'expriment avec responsabilité et un sens élevé de la citoyenneté, en préservant le pacifisme des marches, bravant les interdits, à l'image du blocus de la capitale imposé aux Algériens résidant hors de la wilaya d'Alger pour les empêcher de participer aux marches du vendredi ou encore des maires de Béjaïa qui refusent d'encadrer administrativement l'organisation du scrutin du 12 décembre. Les prémices de la désobéissance civile semblent se dessiner avec l'impasse politique dans laquelle se trouve aujourd'hui le pays, avec le risque de faire le lit d'initiatives du désespoir, comme le refus de soumettre à la loi, dont on perçoit déjà les premiers accents sur le terrain.