– Comment avez-vous accueilli l'annonce de l'organisation d'une élection présidentielle pour le 12 décembre prochain, vous qui vous êtes déjà présenté en avril dernier ? A travers la convocation du corps électoral pour l'élection présidentielle prévue le 12 décembre prochain, le pouvoir vient de confirmer officiellement son option pour la voie express, moins risquée et moins onéreuse pour sa survie, moyennant, bien entendu, quelques aménagements de façade, sans réel impact sur sa matrice politique et de gouvernance. Les dernières mesures financières prises ou introduites dans l'avant-projet de la loi de finances pour 2020 par le gouvernement renseignent suffisamment sur la politique d'achat de la paix sociale pratiquée par le système politique en place, depuis des décennies. Au lieu de responsabiliser le peuple, le pouvoir continue à le berner et à le corrompre. Au final, aucun signe notable de bonne volonté allant dans le sens du redressement national n'a été affiché par le pouvoir en place. Le même profil de personnels politiques et d'encadrement est retenu pour la quasi-totalité des changements opérés au sein de l'Etat, ses démembrements et au niveau du secteur économique public. – Maintenant que le pouvoir est allé jusqu'au bout de sa logique en révisant le code électoral et en installant l'Autorité indépendante des élections, comment va-t-il, selon vous, convaincre les citoyens d'aller voter ? Je voudrai d'abord revenir sur le travail qui a permis l'élaboration de ces deux textes de loi. Il s'agit d'un travail de laboratoire, à caractère purement technique, effectué par des experts juridiques, politiques et autres. Sur ce plan, un hommage mérite d'être rendu aux femmes et aux hommes qui ont préparé ces deux textes à même de permettre, sur le plan théorique pur, de dérouler le processus électoral d'une manière fiable, propre et honnête. En effet, le dispositif technique mis en place permet d'assurer, théoriquement, une élection présidentielle fiable. Cependant, l'essentiel reste la volonté politique, laquelle s'apprécie d'abord sur le choix de la composante humaine de l'autorité en charge de l'élection présidentielle d'une part et «l'appartenance» des candidats en lice, d'autre part. A ce niveau, force est de constater l'opacité qui a entouré la désignation des 50 membres de cette instance, ainsi que l'élection de son président. Donc, c'est de mauvais augure pour un début. Au final, c'est de la volonté sincère des pouvoirs publics à permettre au peuple d'exercer pleinement sa souveraineté dans le choix du futur Président que dépend toute la crédibilité du scrutin présidentiel. Ceci étant, comme vous l'évoquez, il reste un travail gigantesque de conviction et de sensibilisation de la classe politique, des candidats potentiels et du corps électoral à participer à cette élection présidentielle. Le pouvoir doit déployer des efforts colossaux pour convaincre la classe politique réticente et les citoyens habités par la suspicion légitime que ces élections seront loyales et honnêtes, d'une part, et que les défis et les enjeux qui nous attendent sont l'unique motivation d'organiser à brève échéance ce scrutin. Il demeure entendu que cette présidentielle doit constituer une partie de la solution et non un coefficient d'aggravation de notre situation actuelle. La balle est dans le camp du pouvoir qui doit impérativement s'investir pleinement pour créer un climat serein et propice à ce rendez-vous national. Le véritable acteur doit être le peuple. Toute démarche allant à l'encontre de la volonté populaire ne pourrait que compliquer la donne nationale. L'Algérie est à la croisée des chemins. A nous de jouer dans le bon sens. Aucun vent n'est favorable à celui qui ne sait quelle direction prendre. – Pour quelle thèse politique penchez-vous, s'agissant du règlement de la crise que connaît le pays ? Sur la scène nationale, deux idées s'affrontent s'agissant du dénouement de la crise politique qui sévit en Algérie : les tenants du gradualisme, et les jusqu'au-boutistes. Les uns et les autres développent un argumentaire plus ou moins convaincant. Le pouvoir et ses partisans font du forcing pour inaugurer, à travers l'élection présidentielle du 12 décembre 2019, une politique consacrant le gradualisme dans la perspective de la démocratisation et la moralisation de la vie publique. L'argument massue avancé par les tenants de cette thèse réside essentiellement dans le fait que le pays ne pourrait demeurer indéfiniment sans Président légitime, sous peine d'isolement international et de non-prise en charge des problèmes socioéconomiques qui se corsent au regard de la crise financière qui pointe à l'horizon, notamment avec l'amenuisement des réserves de change et l'effondrement des prix du pétrole. Cette démarche prêche par la suspicion légitime populaire quant à l'avortement des objectifs portés par cette révolution pacifique (hirak) tendant à la refonte totale du système qui a mené notre pays à cette impasse suicidaire. Au final, le risque de relooking du système est réel. Par ailleurs, les tenants de la politique jusqu'au-boutiste avancent comme argument presque imparable le bilan avec un passif lourd de ce système qui a régné, en despote absolu, depuis l'indépendance avec une politique tous azimuts d'exclusion préjudiciable dans tous les domaines de la vie sociale. C'est ce système, une sorte d'hydre à 7 têtes, qui repoussaient dès qu'on les coupait, que les partisans de cette démarche redoutent légitimement. Ce faisant, ils veulent pousser ce système jusqu'à ses derniers retranchements pour le mettre, définitivement, hors d'état de nuire. L'histoire ne pardonnera point aux égoïstes et narcissiques politiques qui opteront pour l'une ou l'autre thèse aux seules fins de satisfaire leur propre ego au détriment de l'intérêt suprême de la nation. – Qu'en est-il du pouvoir ? Quelle attitude adopte-t-il face à cette crise ? Le pouvoir se confine, de plus en plus, à travers ses relais médiatiques et autres, dans une attitude pour le moins suspecte. Il se contente de déclarer qu'il a mis en place un dispositif d'ensemble fiable et crédible destiné à encadrer de bout en bout le processus électoral présidentiel. Et ce faisant, sa mission est terminée et aux autres de jouer le jeu. Il semble ignorer que sa responsabilité ne relève pas de l'obligation de moyens mais de l'obligation de résultats. Il doit savoir particulièrement qu'il est comptable devant le peuple non pas des moyens mis en place mais du résultat final de ces joutes électorales. Autrement dit, il ne doit point réitérer son ineptie en déclarant, toute honte bue et en toute irresponsabilité, que la fraude qui avait caractérisé les élections législatives de décembre 1991 n'était pas de son fait, mais du ressort du FIS. Au total, le pouvoir est devant un dilemme shakespearien.