Trente-et-un ans déjà et une marche populaire pacifique était prévue dans la capitale, à la mémoire des dizaines de victimes des manifestations du 5 Octobre 1988 et des jours qui ont suivi, dans plusieurs villes du pays, des arrestations arbitraires, des innombrables cas de tortures de citoyens, de syndicalistes, de militants politiques et qui allaient profondément marquer les esprits, laisser de profonds stigmates chez toute une génération. Mais il faut croire que 31 ans plus tard, ce qui s'est passé le 5 octobre et les jours suivants dérange encore, une tache noire que le système politique n'est pas prêt à assumer, répondant avec le même autoritarisme au besoin populaire du souvenir et du recueillement à la mémoire de toutes les victimes de la répression, de l'injustice et de l'exclusion. Non seulement la marche d'Alger d'hier a été empêchée, mais les principaux animateurs de l'initiative ont été arrêtés par la police. Et dire que tous ceux qui étaient descendus dans les rues au cours des journées mémorables d'Octobre 1988 ont tous été animés par ce farouche désir de ne plus jamais vivre sous le règne de l'arbitraire. Beaucoup d'entre eux étaient également animés par une profonde aspiration à une Algérie démocratique, où il ferait bon vivre dans la diversité et dans le respect de l'autre, de la femme… Malheureusement, au cours de ces 31 ans et devant les répressions successives des mouvements populaires, comme les Printemps noir et berbère, les grèves durement «matées», des enseignants ou des médecins, ils ont été beaucoup à verser dans le désespoir et la désillusion face à un pouvoir de plus en plus autoritaire et totalement autiste aux revendications des citoyens. Mais la colère, le désespoir et le ressentiment manifestes tout au long de ces 31 dernières années allaient être le levain d'un soulèvement populaire inédit dans l'Algérie indépendante. Une mobilisation citoyenne d'une rare ampleur qui a dressé des millions d'Algériens comme un seul homme depuis le 22 février dans la contestation d'un système inique qu'ils veulent dégager définitivement. Huit mois à battre le pavé chaque vendredi, soit 33 vendredis, pour réclamer le départ de tous ceux qui sont à l'origine du chaos dans lequel est plongé le pays aujourd'hui, miné par la corruption, vicié par le népotisme et affaibli par les inégalités sociales criantes. L'aspiration à une Algérie démocratique est toujours présente dans les revendications des protestataires aux côtés de celle de l'édification d'un Etat civil à l'abri de toute ingérence d'une quelconque oligarchie quelle qu'elle soit, militaire, politico-financière ou maffieuse. Trente-trois vendredis d'affilée de contestation, de cris de révolte de millions d'Algériens qui ont sérieusement ébranlé l'autoritarisme du système politique algérien, mais qui ne semble pas vouloir céder l'essentiel, c'est-à-dire son départ de la scène, même si devant la colère il a dû concéder la chute d'un régime autocratique, celui de Bouteflika.