Benjamin Stora à Alger : un événement. L'énième « retour » au bercail de l'un des historiens les plus prolifiques en travaux de recherche sur l'histoire du mouvement national n'a pas laissé indifférent le grand public. La salle de conférences du Centre culturel français (CCF) où Benjamin Stora a donné dimanche soir sa communication autour de son livre Le mystère de Gaulle, son choix pour l'Algérie – réédité en Algérie chez Sedia –, s'est révélée exiguë pour contenir le foule nombreuse. Les organisateurs ont dû aménager pour la circonstance le hall des expositions et improviser une retransmission de la conférence. En vain. Faute de places, beaucoup ont dû se résoudre à abandonner la partie. Même Ali Haroun, responsable historique de la Fédération de France du FLN n'a pu y assister. L'ancien moudjahid s'est vu refuser l'accès par un agent du CCF affecté à la surveillance du portique d'entrée… Le thème de la conférence « Le choix du général de Gaulle pour l'Algérie » attise, sur fond de barbantes controverses autour de l'indépendance « acquise » ou « octroyée », les curiosités. Rappelé à la tête du gouvernement en mai 1958, le général de Gaulle est l'« homme du 18 juin 1940 » pour les Français, du 16 septembre 1959 pour les Algériens. Le discours télévisé du Général le 16 septembre 1959 dans lequel il était question de la reconnaissance du droit à l'autodétermination du peuple algérien était synonyme d'un « basculement décisif » dans la politique de l'Etat français. Porté au pouvoir par les partisans de l'Algérie française, le général de Gaulle a pris de court toute la classe politique française. Non sans avoir cultivé, 15 mois durant, « des positions équivoques » et « fait naître de grands espoirs » auprès des Européens d'Algérie (discours de Mostaganem du 6 juin 1958). Pour Benjamin Stora, la conception du général de Gaulle était articulée au départ autour de la recherche d'une « solution d'association » franco-algérienne qui excluait l'indépendance de l'Algérie. De Gaulle « mû par le seul souci de préserver les intérêts français » était confronté à un choix cornélien, à « la détermination de la résistance algérienne ». « De Gaulle se devait de trouver une solution pour sortir du statu quo sans courir le risque d'une guerre franco-française ». La « seule solution viable, celle de la séparation » adoptée en dernier recours par de Gaulle était la conséquence de la « victoire politique » de la résistance algérienne, de l'isolement diplomatique dans lequel s'était fourvoyé la France. « Il ne faut pas oublier que jamais les opérations militaires, la pression physique exercée sur la résistance algérienne, n'ont été aussi terribles que sous de Gaulle », précise Stora. « Moi vivant, jamais le drapeau du FLN ne flottera sur l'Algérie » Avant son discours historique du 16 septembre, le Général s'attellera d'abord à chercher des alliés politiques. Il sondera ses ministres, la classe politique française, dominée par le Parti communiste français. « Les nationalistes français demeuraient attachés à l'idée de l'unité et de l'intégrité de la France et considéraient l'Algérie partie intégrante des territoires français ». C'est aussi dans cette optique qu'a été envisagée, d'après l'historien, « la tournée des popotes » dont l'objectif premier était de sonder les chefs de l'armée, les partisans les plus « ultras » de l'« Algérie française ». Le président français effectuera du 27 au 31 août 1959 un premier périple à travers plusieurs villes d'Algérie. Jouant sur plusieurs tableaux à la fois, de Gaulle déclarait alors : « Moi vivant, jamais le drapeau du FLN ne flottera sur l'Algérie. » Deux semaines plus tard, il prendra son monde à contre-pied en reconnaissant – lors du discours du 16 septembre – le droit à l'autodétermination pour les « musulmans d'Algérie ». Seul le préfet musulman de Constantine Mahdi Belhaddad, affirme Benjamin Stora, a été mis au parfum. L'annonce de de Gaulle provoquera un séisme politique. « Une fracture profonde ». Après la « semaine des barricades » à Alger, le 25 janvier 1960, le « putsch des généraux » en avril 1961, de Gaulle soucieux d'éviter à la France « une guerre civile, accélère le processus pour l'autodétermination ». Le 30 mars 1961, le gouvernement français annonce officiellement l'ouverture de pourparlers avec le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne). « Des négociations auxquelles, révèle Benjamin Stora, Messali Hadj a été invité à prendre part. Non seulement Messali a décliné l'invitation, mais il a désavoué publiquement ceux parmi ses proches collaborateurs qui ont accepté de se faire instrumentaliser par les services français. » Côté algérien, l'allocution du général de Gaulle du 16 septembre était perçue comme une « manœuvre politique ». « Ferhat Abbas, le président du GPRA, fin politicien, rompu aux pratiques du système politique français était le seul à saisir la portée du discours. » Invité à la fin des débats à commenter le récit de Saïd Sadi, Amirouche, une vie, deux morts, un testament, Stora qualifiera de « rumeur » la thèse selon laquelle les colonels Amirouche et Si El Haouès avaient été « balancés » par leurs frères d'armes. « Une rumeur qui couve depuis longtemps. Les documents historiques, les archives de l'armée, les témoignages des acteurs directs, du MALG entre autres dont nous disposons n'ont pas confirmé cette rumeur. Est-ce qu'il y a une nouvelle preuve ? On ne peut pas se prononcer. »