On ne raconte pas le bonheur, et on ne l'exhibe pas. Car il faut se promener dans les profondeurs de la détresse pour en apprécier l'insigne essence. Le temps des épreuves dure trop longtemps avant que ne se dessinent les contours de l'espoir. Le citoyen, cet obligé de multiples « bienfaiteurs », doit ramer, baver et s'échiner. Faire le tour de la placide patience, s'armer d'un inflexible stoïcisme pour voir le bout du tunnel. Ils sont nombreux à entamer le parcours initiatique. Ils en gardent même un ineffaçable souvenir. Un détail à relever tout de même parce qu'il se répète souvent. Les pensionnaires attitrés du deuxième collège doivent - coutume oblige - exulter, se réjouir, plonger dans une exaltation enfiévrée, sitôt que leur calvaire disparaît. Triomphe du patriarcat des âmes qui dicte que l'on tresse des lauriers et que l'on affuble d'une toison d'or la main providentielle. En témoignent, par exemple, les démonstrations de liesse affichées par les familles bénéficiaires de nouveaux logements, après avoir longuement séjourné dans des bidonvilles, des taudis et des habitations précaires. La chose en soi n'a rien de condamnable ni de répréhensible. Ce qui l'est moins, c'est cette envie déclinée par les autorités qui consiste à contempler cette profusion de youyous stridents, de chauds remerciements, d'implorations à leur adresse. Tout s'étale et se déverse aux pieds des artisans de la délivrance. Le citoyen gavé d'attentes ne se retient plus. Et on se fait fort de le voir partir en vrille. Avec le cuir d'autrui, large courroie. L'initiative est presque béatifiée, inscrite en lettres d'or. Pourtant, il ne s'agit que d'un droit ou d'un devoir à l'égard de ceux qui sont réellement dans la misère. Mais le droit se paie très cher.
