Dans l'histoire du développement économique de l'Algérie, les potentialités de l'émigration n'ont jamais été considérées comme facteur pouvant contribuer au développement du pays. Les différentes stratégies adoptées sur le plan économique n'ont pas jugé nécessaire de réserver à l'émigration une place où elle pourrait jouer un rôle positif. Le rôle exclusif réservé aux hydrocarbures écartait tous les facteurs susceptibles de concourir au développement et à la relance économique, notamment l'investissement privé, l'agriculture, le tourisme, l'exportation des produits manufacturés… En outre, l'option de financer totalement les projets d'investissements sur fonds publics, la centralisation des choix stratégiques et l'exécution des plans de développement écartaient également toute autre forme de participation sur le plan financier et managérial. Cette démarche, très préjudiciable au pays, n'a pas permis à l'émigration algérienne d'apporter, d'une part, son soutien au développement du pays, grâce à son savoir et savoir-faire capitalisés dans différents domaines et de participer, d'autre part, au financement de l'économie. En outre, la réglementation de change très coercitive a favorisé l'épanouissement d'un marché parallèle qui a eu un impact négatif sur le circuit normal de transfert de fonds. En plus, ces transferts étaient, dans leur quasi-totalité, destinés à la satisfaction des besoins familiaux et ne concernaient nullement les projets d'investissements. Selon les services de la Banque mondiale, les transferts de notre diaspora s'élevaient à 2 milliards de dollars durant l'année 2018, soit 0,3 % du PIB. Au Mexique, les transferts ont atteint le niveau de 36 milliards, en Egypte, ces montants dépassaient les 29 milliards, 6,8% du PIB, en Tunisie les transferts de la diaspora représentaient plus de 2,5% du PIB. Le Maroc, avec 7,6 milliards de transferts, se classait en troisième position dans la zone MENA. Le rôle de la diaspora dans le développement du pays d'origine a été reconnu depuis des décennies. Concernant la zone MENA, dont fait partie l'Algérie, les services de la Banque mondiale estiment que la diaspora des pays du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord représente un gisement inexploité de savoir et de savoir-faire qui peut contribuer d'une manière assez significative au développement et à la croissance et aider ces pays à devenir des «acteurs économiques de premier plan au niveau mondial». Selon les experts, la diaspora peut contribuer au développement par son savoir, son savoir-faire, par ses capacités financières et par ses réseaux. Mais des conditions dans le pays d'origine sont nécessaires. Il est donc logique que des études et des expériences soient menées pour connaître les différentes potentialités et identifier les obstacles dans le but d'aider les pays concernés à créer les conditions politiques, économiques et réglementaires qui facilitent la contribution de la diaspora au développement du pays d'origine et orientent les transferts vers des projets d'investissements. Les enquêtes auprès de la diaspora de divers pays indiquent que 68% des gens interrogés sont disposés à investir dans leur pays d'origine, 87% sont favorables à des actions d'encadrement et d'accompagnement. Mais 62% exigent d'être considérés comme des partenaires à part entière pour concevoir et diriger des projets d'investissements. 54% estiment que les contraintes politiques, économiques et réglementaires doivent être levées (Banque mondiale). En effet, l'instabilité politique et économique, le non-respect des lois et des contrats, l'absence de liberté politique, l'indisponibilité de l'information, les carences du secteur bancaire sont les causes essentielles qui bloquent toute initiative d'investissement. Ces différents freins, qui empêchent la diaspora de s'impliquer dans le développement du pays d'origine, sont assez prépondérants dans le contexte algérien. L'investissement rencontre beaucoup de barrières qui bloquent toute initiative extérieure au système en place. Des réformes structurelles sont incontournables pour redonner à l'économie de nouvelles bases aptes à libérer les initiatives dans un cadre juridique où la loi est respectée par tous et appliquée de la même manière pour tous. Quelle est la démarche à suivre et quelles sont les mesures les mieux appropriées qui peuvent transformer la diaspora en un facteur de développement ? Diverses approches ont été testées, notamment en Amérique latine, le projet CIDESAL pour la création d'incubateurs de la diaspora du savoir pour l'Amérique latine dans le but de favoriser les actions productives. En Côte d'Ivoire, où la diaspora transfère plus de 180 milliards de FCFA dont 10 milliards en investissements directs, la contribution de la diaspora représente 1,2% du PIB. Dans la zone MENA, notamment au Maroc, le projet «Maroc-stratégie-innovation» pour attirer les compétences et favoriser la création de start-up. Les travaux de l'OIM (Organisation internationale des migrations), le MPI (Migration Policy Institut) et le Forum mondial sur la migration et le développement ont conduit à l'élaboration d'un manuel intitulé «Le manuel à l'usage des décideurs et praticiens dans les pays d'origine et d'accueil». Le but recherché est d'arrêter une démarche qui favorise l'association de la diaspora au développement. Six domaines ont été retenus : le rapatriement des fonds privés pour les orienter vers des investissements directs, utilisation des compétences, investissement dans le marché financier, le tourisme pour la diaspora et les contributions philanthropiques. A cet effet, une «feuille de route» a été établie par le MPI pour : connaître la diaspora et ses moyens, bâtir la confiance, mobiliser les parties intéressées (pays d'origine, gouvernement, diaspora), participation effective de la diaspora… Dans ce cadre, l'Algérie détient deux atouts déterminants pour le développement ; d'une part, ce pays offre des possibilités énormes et multiples pour les investisseurs et, d'autre part, la diaspora algérienne possède des potentialités formidables dans tous les domaines. Comment faire pour que ces deux atouts puissent s'associer, se compléter et se transformer en facteurs de développement ? Quelles sont les causes qui empêchent l'Algérien résidant à l'étranger de transférer ses économies vers son pays ? Quels sont les facteurs qui incitent les autres diasporas (Chine, Inde, Mexique, Egypte, Maroc…) à transférer leurs économies vers le pays d'origine ? Les freins et obstacles sont multiples. La réglementation, la bureaucratie, l'instabilité de la réglementation, l'absence de bureau de change, un système bancaire désuet, l'absence d'agences bancaires algériennes à l'étranger… Mais le plus grave réside dans l'absence d'une volonté politique et d'une stratégie ou d'un modèle de développement qui considère la diaspora comme un facteur de développement et lui prépare les conditions de son intégration dans le processus de développement. Au contraire, les mesures prises par les différents gouvernements reposent essentiellement sur le recours aux hydrocarbures et à l'investissement public sans accorder une place à la contribution de l'émigration. L'émigration algérienne est doublement riche, riche par son savoir-faire et ses compétences dans différentes spécialités, riche par ses capacités financières et ses investissements dans le pays d'accueil dans différents secteurs de production ou de services. Que faire pour corriger ces dysfonctionnements et ces freins très préjudiciables sur les plans économique et social ? Comment associer la diaspora au développement ? En premier lieu, l'existence d'une volonté politique exprimée clairement et d'une manière indéfectible. C'est une condition qui détermine tout le reste des mesures. Rendre le climat des affaires attractif en agissant sur la simplification de la réglementation, la fiscalité, le respect des contrats, la modernisation du secteur bancaire, les contraintes au niveau de l'implantation des projets (permis de construire, énergie, eau, routes…) Se doter d'une vision stratégique sur le moyen et long termes, choix d'un modèle économique, préciser les priorités, la place réservée à l'investissement privé, à la participation de l'émigration et aux IDE. Instaurer la confiance, créer des passerelles pour se connaître dans le but de construire des relations permanentes qui permettent aux deux parties d'agir dans un système «gagnant-gagnant». Sélectionner les secteurs où les émigrés peuvent utiliser leurs capacités. Les secteurs suivants pourraient constituer des opportunités très favorables à la contribution de l'émigration au développement du pays. La création d'universités et de centres de formation spécialisés. La création de start-up. L'investissement dans les nouvelles technologies. Le tourisme, secteur qui renferme des opportunités intéressantes, inexploitées. L'accompagnement et l'encadrement, notamment pour améliorer la qualité du management et la qualité du produit algérien pour son exportation. L'investissement dans la santé (création de cliniques et hôpitaux privés). L'investissement dans l'agriculture et les exportations de produits agricoles. Développement des énergies renouvelables. Les réseaux de soutien pour accompagner les exportateurs. L'investissement dans les secteurs favorisant l'intégration du produit algérien dans les industries de montage (véhicules, téléphonie et électroménager…). La protection de l'environnement. Le développement, la relance économique et la croissance ont besoin de toutes les capacités d'un pays. L'apport de notre émigration fait partie des facteurs qui peuvent contribuer au développement si la volonté politique et la stratégie économique du pays lui accordent la place qu'elle mérite. Bio : Brahim Lakhlef est auteur de plusieurs ouvrages, notamment : Qualité des institutions, réformes et résultats économiques (ALE-éditions), La gestion d'une entreprise en difficulté (El-Djazairia-éditions), Le tableau de bord pour piloter votre entreprise (Baghdadi-éditions).