Le cachiriste sous protection et le militant sous surveillance dictatoriale» : c'est le message porté sur la pancarte qu'un étudiant brandissait lors d'un sit-in, tenu hier à la mi-journée, devant la Fac centrale. Le coup de gueule fait référence au «deux poids, deux mesures» des forces de l'ordre qui ont violemment empêché une manif' des étudiants qui venait de s'ébranler de la Fac centrale, tandis qu'un rassemblement pro-élection organisé par l'UGTA près de la Grande-Poste a eu droit à la bienveillante attention de la police et à une large couverture médiatique de la part des organes officiels et des chaînes de télévision privées. Alors que vendredi dernier, lors du 42e acte du hirak, on entendait les manifestants scander, par dizaines de milliers, «La grève générale yasqot ennidham» (grève générale et le régime tombera), «WAllah ma nekhdem, w'Allah ma n'voti, le 8 décembre naghlek hanouti» (Je jure que je ne travaillerai pas, je ne voterai pas ; le 8 décembre, je fermerai ma boutique), au final, la grève était très peu visible ces deux derniers jours dans l'espace public algérois. Pas de rideaux baissés, pas d'administrations paralysées. Le métro, les transports publics, les écoles, fonctionnaient normalement. L'une des rares images de la grève qui ait circulé hier montrait des employés de la BADR observant un sit-in devant le siège de la banque, sur le boulevard Amirouche pour dire «makache intikhabate maâ el îssabate» (Pas d'élection avec les gangs). Pour le reste, Alger paraissait bien sage. Mais c'était sans compter sur la détermination des étudiants, qui restent la communauté la plus active dans la capitale depuis le lancement de la grève. Dès dimanche, ils sont montés au créneau dans plusieurs campus de l'Algérois pour exprimer avec force leur rejet du «12/12». Ce lundi, ils entendaient faire monter la contestation d'un cran en organisant une marche au cœur de la métropole pour dénoncer la présidentielle. Seulement, le dispositif de police impressionnant déployé n'a pas tardé à sortir ses griffes pour disperser la manif. Les forces anti-émeute se sont déchaînées pour stopper le cortège à hauteur du lycée Delacroix, avant de forcer les étudiants à regagner leurs plates-bandes. «On avait à peine entamé notre marche que les éléments de la police ont fondu sur nous. Ils ont interpellé des étudiants. Moi-même j'ai été violemment bousculée. Pourquoi ils laissent les autres (les manifestants pro-élection) faire leur action et pas nous ? » s'indigne une jeune cadre officiant dans une entreprise nationale, venue soutenir les étudiants. La jeune femme arborait une pancarte sur laquelle on pouvait lire : «Non au 12/12. L'Algérie ne vote pas». «Pouvoir au peuple, pas de vote» Loin de s'avouer vaincus, les jeunes protestataires ont alors observé un sit-in devant l'entrée officielle de l'université Alger 1 – Benyoucef Benkhedda, sur la rue du 19 Mai 1956. Pour être sûrs de ne pas être délogés, ils se sont mis à terre, encerclés par un important cordon de police. Reprenant en boucle les slogans habituels, ils scandaient : «Silmiya, silmiya, matalibna char'îya» (Pacifique, nos revendications sont légitimes), «Ahna ouled Amirouche, marche arrière ma n'ouellouche, djaybine el houriya» (Nous sommes les enfants de Amirouche, pas de marche arrière, on arrachera la liberté), «12/12 la yadjouz» (le scrutin du 12/12 est illicite), «Dégage Gaïd Salah, had el âme makache el vote», « Djazaïr horra dimocratia » (Algérie libre et démocratique), « Système dégage ! »… Hamza, étudiant en 4e année d'architecture à l'EPAU, confie : «Je suis ici pour exprimer mon refus de l'élection. A l'EPAU, on a tenu une AG et on a adopté le principe de la grève. Les enseignants également sont de notre côté.» Sur les pancartes brandies, le rejet de la présidentielle est unanime : «Non aux élections avec les gangs. Notre hirak continue», «Pas d'élections avec les gangs, grève générale !», «Non à la répression, nous accomplissons notre devoir. Nous sommes des étudiants, pas des terroristes». Un jeune a écrit simplement : «Etudiant rejetant les élections». Une des figures du hirak, étudiant des plus actifs, hissait ces deux messages percutants : «La force de la loi ou la loi de la force ? » ; «Pas de légitimité à une autorité répressive !». Une autre a formulé cette réflexion incisive : «La communauté algérienne à l'étranger vit la belle vie et malgré cela, elle est sortie contre les élections. Et lui, il mène une vie de chien ici et te dit vive les élections». On pouvait lire aussi : «La démocratie bourgeoise est une illusion. Pouvoir au peuple. Pas de vote !» Peu avant la levée du sit-in, la place s'est transformée en agora le temps de deux ou trois prises de parole. «Si vote il y a, beaucoup risquent de faire marche arrière. Nous, notre objectif, ce n'est pas le vote, c'est le changement de tout le système. On ne s'arrêtera pas !» martèle un intervenant. Un autre précise : «Moi, dans l'absolu, je ne suis pas contre les élections. Mais pas ces élections. On veut un vote intègre. Il faut conscientiser les personnes qui sont autour de nous. Il faut éviter le piège des divisions. Il n'y a plus de Kabyle, d'Arabe, sz Mozabite… Nous sommes tous des Algériens unis sous un même emblème. Et il faut maintenir la grève générale pour faire pression sur la îssaba.» 12h40. La foule scande Qassaman. Des voix s'élèvent pour exiger la libération d'un étudiant arrêté : «Libérez Yanis !», «Libérez les détenus !» lancent-elles. Rendez-vous est donné pour ce mardi, jour de fronde hebdomadaire de la communauté universitaire, qui promet une belle mobilisation.