Les partis Ettayar, Echaab et Tahya Tounes ont fini par refuser la proposition de quartet avec Ennahdha. Les islamistes se voient dans l'obligation de s'allier avec Qalb Tounes, ou de remettre le sort du gouvernement au président Kaïs Saïed. La pression s'accentue sur Ghannouchi, qui ne dispose que de trois semaines pour clore le dossier. A l'opposé de ce que laissaient entendre les déclarations euphoriques de Habib Jamli, dans l'après-midi de samedi, selon lesquelles le gouvernement allait être annoncé en début de semaine, les instances politiques des partis Ettayar, Echaab et Tahya Tounes ont refusé la proposition de quartet avec Ennahdha. Les trois partis considèrent que le programme proposé n'atteint pas le minimum requis. Retour à la case départ pour Jamli, qui déterre l'idée d'intégrer Qalb Tounes au gouvernement. Les partis tunisiens craignent, désormais, l'alliance avec Ennahdha. Ceux qui ont tenté le coup, en 2011 et 2014, Nidaa Tounes, Ettakattol et le CPR, ont pratiquement disparu de l'échiquier politique. Cela n'encourage donc pas à refaire l'expérience, condamnant la saga de formation du prochain gouvernement tunisien à un rocambolesque rebondissement. De telles craintes ont poussé les formations politiques du Courant démocratique (Ettayar), Mouvement du peuple (Echaab) et Tahya Tounes, de l'actuel chef du gouvernement, Youssef Chahed, à refuser la proposition de quartet soumise samedi dernier par Jamli, en présence de Rached Ghannouchi. «La proposition n'atteint pas le minimum requis par nos doléances, inspirées de nos promesses à nos électeurs», précise un communiqué du bureau politique d'Ettayar. Les mêmes propos ont été exprimés lors d'une conférence de presse d'Echaab, alors que Youssef Chahed a déclaré, à l'issue du conseil national de Tahya Tounes, que «les conditions d'un gouvernement d'intérêt national ne sont pas réunies». Les trois partis ont claqué la porte, dimanche dans l'après-midi, plongeant les islamistes d'Ennahdha dans la consternation. Tergiversations Sitôt ces rejets annoncés, le dirigeant islamiste, Abdelhamid Jelassi, a résumé la situation en disant qu'il reste trois alternatives à Ennahdha. Les islamistes ont à choisir, dans leur conseil de la choura, entre une première option d'un gouvernement de minorité. Ennahdha gouverne seul et requiert des alliances par mission. A chaque étape ses alliés. La seconde alternative, c'est de s'allier à Qalb Tounes, bien que les islamistes l'aient régulièrement refusé à cause des soucis de Nabil Karoui avec la justice. La dernière option, c'est de s'en remettre au président Kaïs Saïed, comme le dit la Constitution, en cas de pareil blocage. Mais, le Président nommerait certes, volontiers, la personnalité qu'il juge capable de réussir. Toutefois, si cet attelage échoue, le Président appellera à des élections législatives anticipées. Or, les islamistes ne veulent pas de cette alternative. Roue de secours Tous les partis politiques accusent Qalb Tounes et son président, Nabil Karoui, de tous les maux. Ghannouchi et plusieurs dirigeants d'Ennahdha ont clairement dit refuser de gouverner avec Qalb Tounes, l'accusant de corruption. Néanmoins, le bureau politique de ce parti s'est réuni et a demandé à Ennahdha «d'assumer sa responsabilité dans la formation du gouvernement, en respectant la volonté populaire». Qalb Tounes a régulièrement affirmé qu'il est favorable à un gouvernement de compétences et ne veut pas de postes pour ses dirigeants, laissant ainsi le libre choix à Habib Jamli pour nommer des personnalités proches de Karoui, comme Fadhel Abdelkafi, entre autres. Qalb Tounes s'attache désespérément à faire partie du gouvernement, pour faire taire les langues l'accusant de corruption, voire à entraîner ses alliés dans le même pétrin. Il se voit ainsi obligé d'ignorer les qualificatifs de «roue de secours d'Ennahdha», parce qu'il n'a de chance d'être associé au gouvernement qu'avec les islamistes d'Ennahdha. Autrement, Nabil Karoui risquera gros dans les affaires qu'il traîne avec la justice. De leur côté, les islamistes savent qu'une alliance avec Karoui leur coûterait cher à l'avenir. Mais, c'est mieux que de remettre le sort du gouvernement à Kaïs Saïed, avec l'éventualité de législatives anticipées. La transition démocratique en Tunisie laisse encore la voie possible à l'instabilité politique et le prolongement de la crise socioéconomique.