Le hirak a retrouvé en ce 46e vendredi ses couleurs, sa force de mobilisation, sa détermination et l'espérance du changement du système portée par le mouvement populaire du 22 Février. La libération de 76 détenus d'opinion, dont le moudjahid Lakhdar Bouregaâ et le général à la retraite Hocine Benhadid, la veille de la marche hebdomadaire du hirak, a galvanisé les manifestants qui ont célébré l'événement dans un air de liesse populaire et de victoire sur l'arbitraire, aux côtés des détenus libérés alignés en héros aux premiers rangs des manifestations. Outre le caractère injuste de ces arrestations massives, qualifiées de rafles par certains, et dont l'objectif était de casser le hirak en le frappant à la tête à travers l'incarcération de ses animateurs les plus en vue, le pouvoir réalise que l'opération coup-de-poing contre le hirak est politiquement contre-productive et judiciairement lourde à porter pour l'image du pays à l'extérieur en termes de respect des libertés et des droits de l'homme. Le séjour en prison n'a fait qu'accroître la détermination des détenus qui sont sortis forgés par l'injustice de leur incarcération, les dures conditions de détention dénoncées par nombre d'entre eux et avec, en prime, une âme de militants radicalisés qui va sans doute servir de puissant carburant à l'action du hirak. C'est pourquoi il faut espérer que la décision de vider les prisons des détenus du hirak ne soit pas une opération de politique politicienne destinée à jeter uniquement des passerelles avec le hirak dans la perspective du dialogue auquel a appelé le président Tebboune, et qu'elle reflète une réelle volonté du pouvoir de rompre avec le système de gouvernance autoritaire en place depuis l'indépendance. Libérer les détenus tout en poursuivant les interpellations, les incarcérations et les actions de provocation à l'encontre du hirak serait pour le pouvoir un coup d'épée dans l'eau. Il serait présomptueux de croire que l'élargissement des détenus – dont beaucoup ont par ailleurs purgé leur peine – va à lui seul provoquer un déclic dans les rangs du hirak pour susciter un engouement au dialogue projeté par le pouvoir. La rue attend d'autres gestes politiques plus forts, telles que l'indépendance de la justice, l'ouverture des champs politique et médiatique comme mesures urgentes avant d'ouvrir le grand chantier des institutions et du nouveau système politique à bâtir. Le fait accompli de l'élection présidentielle, présentée par ses instigateurs comme la clé de voûte du changement, n'a pas infléchi la problématique de fond des revendications de l'aile majoritaire du hirak, qui plaide pour la nécessité de la mise en œuvre de la transition comme seule issue de sortie de la crise. Objet de toutes les critiques et des tirs nourris du hirak, comme on l'a vu ce vendredi, le président Tebboune tente depuis son investiture, par des messages en clair et codés, d'imprimer son empreinte à la gestion de la crise en optant pour la méthode Coué, privilégiant le changement prétendu ordonné à l'équation de la transition jugée par le pouvoir aventureuse et porteuse de risques pour la stabilité du pays. C'est probablement cet esprit qui a présidé à la formation du nouveau gouvernement en faisant l'impasse sur les partis de l'alliance présidentielle de Bouteflika condamnés par le tribunal de l'histoire et du hirak. La non-reconduction dans l'organigramme du gouvernement du poste de vice-ministre de la Défense nationale, assumé par feu Gaïd Salah dans l'Executif précédent, mérite également d'être soulignée. Néanmoins, cette concession (technique ?) faite au hirak n'est pas pour autant le signe probant que le pays a basculé dans un nouveau régime politique civil tel que réclamé par le mouvement citoyen, lequel requiert des réformes structurelles plus audacieuses. La première intervention du nouveau chef d'état-major de l'armée, le général-major Chengriha, qui tranche singulièrement par sa retenue par rapport aux discours enflammés et inquisiteurs de son prédécesseur à l'encontre du hirak, et son recentrage sur sa vocation de défense nationale et du territoire de l'Anp dénotent un changement de ton et de discours. Mais il serait pour le moins hasardeux d'en tirer, pour l'heure, des conclusions hâtives.