Au sujet du rapatriement de l'argent de la corruption, on lit dans la presse nationale que «l'ambassadeur de l'Union européenne (UE) invoque, à ce propos, la complexité des procédures, l'absence de mainmise des Etats sur les comptes des personnes suspectées et la production de preuves sur l'origine criminelle des fonds et biens détournés.» Le rappel du cas de la Tunisie, qui s'est soldé par un échec de la tentative de recouvrement, selon l'ambassadeur de l'UE, n'est certainement pas fortuit, tant il suggère que les velléités de l'Algérie subiront le même sort, y compris dans l'hypothèse hasardeuse où tous les obstacles juridiques seraient surmontés. Cette déclaration révèle l'ampleur des enjeux en cause et laisse affleurer les raisons pour lesquelles «l'obligation de restitution» par le pays requis, prévue initialement dans la Convention des Nations unies de 2000, a été remplacée en 2003 par le «droit de recouvrement» du pays requérant sur les biens d'origine illicite. Or, si le principe de l'obligation de restitution des avoirs incriminés était organisé sous forme de dispositifs de financement soumis au droit interne de chaque Etat partie à la Convention, les mécanismes juridiques de ces droits ont évolué pour devenir de plus en plus contraignants. Sous couvert de procédures de confiscation, les pays requis, dont le système bancaire sert de réceptacle aux biens spoliés, se sont arrogés une période de grâce indéterminée, se traduisant par le libre usage des avoirs confisqués. A partir de 2003, s'abritant sous les dispositions de leurs droits internes, les pays requis ont simplement accaparé ces avoirs en prétextant la complexité et la dissemblance des mécanismes qui régissent la coopération internationale en la matière. Dans le même temps, ils créaient des bureaux chargés de recouvrer, de gérer et de faire fructifier les avoirs ainsi captés, contraignant les juristes des pays requérants à s'épuiser à comprendre les dispositions du droit interne de chaque pays requis, puis à déjouer les chausse-trappes parsemées à leur intention. Ainsi, alors que le principe du droit de recouvrement des biens spoliés est solennellement proclamé par les pays receleurs, les pays victimes ne pourront le faire valoir que s'ils apportent la preuve de la propriété antérieure sur les biens ou les avoirs incriminés, et si un jugement définitif avalise leurs revendications. Et tandis que les juristes des pays requérants s'échinent à rassembler les preuves et à satisfaire aux interminables procédures onéreuses mises en place dans les pays requis, les bureaux de recouvrement et de gestion des avoirs incriminés prospèrent à l'abri des arcanes juridiques échafaudés à leur profit. Pourtant, si la Convention des Nations unies dont les pays receleurs sont parties au même titre que les pays spoliés, dispose que la preuve de l'antériorité de la propriété des avoirs incriminés est à la charge des pays requérants, elle énonce tout aussi clairement que les banques des pays requis peuvent réclamer des dépositaires qu'ils apportent la preuve de la licéité des fonds incriminés. D'abord, au nom du principe du «doute raisonnable» et de l'exigence que peut opposer la banque dépositaire à l'endroit du déposant. Ensuite, parce que la directive de 2015 de l'Union européenne recommande aux Etats membres de prévoir dans leur droit national des sanctions «effectives, proportionnées et dissuasives» contre tous les assujettis, au premier rang desquels les banques, qui violeraient les obligations de vigilance, de détection et de déclaration qui leur sont imposées Enfin, parce que les dispositions de l'article 24 de la Convention des Nations unies qualifient de recel «la dissimulation et la rétention continue de biens, en sachant que lesdits biens proviennent de l'une des infractions établies par la Convention des Nations unies». En tout état de cause, on peut à bon droit s'interroger sur le dessein que recouvre l'application singulière et toujours plus sophistiquée des dispositions de la Convention des Nations unies au droit interne de chaque Etat de l'UE, lorsque cette application se traduit in fine par l'impossibilité pour les pays requérants de recouvrer les biens qui leur ont été dérobés. Ce qui revient à consacrer la spoliation des avoirs réclamés. On ne peut également qu'être frappés par la constance que les pays de l'UE mettent à uniformiser leurs législations internes, à adopter des normes communes de déclarations fiscales, tandis qu'ils redoublent d'ingéniosité pour singulariser celles qui s'appliquent au recouvrement des biens spoliés. Le moins que l'on puisse constater est que ce paradoxe va à l'encontre du principe de normalisation des lois et des procédures, proclamé urbi et orbi par les pays de l'UE, et qu'il contredit le principe vertueux dont les pays signataires de l'accord d'association sont convenus, celui de : «Rapprocher leurs législations, de coopérer afin d'empêcher l'utilisation de leurs systèmes financiers, au blanchiment de capitaux provenant d'actifs criminels et pour lutter contre la corruption.» Comment ne pas s'interroger également sur la nature des mécanismes de la coopération internationale, lorsqu'ils concourent, par le truchement des procédures judiciaires, à confisquer, parfois définitivement et sans recours, les avoirs incriminés, au seul bénéfice des pays requis, pour être confiés à des bureaux de recouvrement puis de gestion. Faisant ainsi écho à la déclaration de 2011 de la commissaire européenne chargée des affaires intérieures, sur l'adoption de mesures visant à renforcer la capacité des Etats membres pour : «Geler, saisir et réutiliser les avoirs acquis illicitement et les autres biens en rapport avec le crime.» Et pendant que les pays spoliés s'épuisent dans des procédures de recouvrement vouées à l'échec, de l'autre côté de la Méditerranée se développe une nouvelle ingénierie financière qui prospère grâce au recel des biens spoliés. Dans ces conditions, «l'absence de mainmise des Etats sur les comptes des personnes suspectées» n'est rien d'autre qu'une fin de non-recevoir des demandes de confiscation formulées par les pays spoliés et l'annonce de la dévolution prochaine des biens et avoirs incriminés aux Etats requis. C'est en se prévalant des mêmes dispositions qui exhortent les Etats parties à développer la coopération internationale et à en surmonter les obstacles que les pays requérants spoliés doivent exiger l'extraterritorialité des déclarations de soupçon pour les affranchir de la seule compétence des organes de traitement du renseignement financier du pays dépositaire des fonds incriminés, et les élargir au pays d'origine du déposant. Notamment lorsque celui-ci est une Personne politiquement exposée (PPE), un membre de sa famille ou un proche. Car, en définitive, la substitution du «droit de recouvrement» à «l'obligation de restitution» n'a abouti qu'à la privation des droits des pays spoliés et à la neutralisation des principes qui fondent la lutte contre le blanchiment des capitaux. Notamment dans sa dimension la plus critique, celle qui concerne les «Personnes politiquement exposées». Pour sortir de l'impasse que les mécanismes des droits internes ont construite, il est indispensable de revenir aux principes fondateurs qui présidaient à l'élaboration des luttes contre l'argent sale. D'abord en renversant la charge de la preuve, puis en conférant un caractère extraterritorial aux déclarations de soupçon. C'est à ces deux conditions que la lutte contre la rapine et ses relais internationaux prendra un sens.