En optant pour la répression, et par extension en procédant aux interpellations, le pouvoir n'a fait qu'élargir le terrain de la contestation. Les militants et activistes qui sont passés devant les juges et leurs avocats ont fait le reste. Les procès des détenus politiques, qui se tiennent dans différents tribunaux du pays, notamment ceux d'Alger où sont passés les personnalités les plus en vue ayant pris fait et cause pour le hirak, sont devenus des tribunes pour ces militants et activistes qui en profitent pour faire entendre leur voix. Avant-hier, le passage de Fodil Boumala devant le juge du tribunal de Dar El Beïda a tenu en haleine tous les Algériens, notamment sur les réseaux sociaux, qui scrutaient le moindre développement de cette affaire. Au fil des heures, le procès ayant duré près de 17 heures, les propos tenus par le concerné, et «fuités» sur les réseaux sociaux par des personnes qui ont assisté au procès, étaient massivement partagés et donc ses prises de position largement commentées. De même pour les déclarations, sur place, de quelques-uns de ses avocats. La plaidoirie de Mustapha Bouchachi, qui est passé en dernier, était fortement attendue. «Ce n'est pas le procès du système contre Fodil Boumala. C'est le procès de Boumala contre le système», ont écrit de nombreux internautes. «Si Boumala s'était exprimé cinq minutes de plus, le juge serait sorti pour crier ‘‘Etat civil, non militaire''», lit-on encore. En effet, l'universitaire arrêté, faut-il le rappeler, le 18 septembre dernier, a profité de la tribune qui lui a été offerte pour réaffirmer ses positions sur différentes questions politiques. Poursuivis généralement pour «atteinte à l'unité nationale, via des publications sur les réseaux sociaux» ou pour «port de l'étendard amazigh», ces détenus n'ont aucunement renoncé à leurs convictions devant les juges. Bien au contraire. Ils les ont réaffirmées et souvent d'une manière tonitruante. En octobre dernier, Messaoud Leftissi, libéré depuis, a affirmé au juge dès sa prise de parole qu'il n'était pas là pour «justifier» ses convictions. «J'ai brandi ce drapeau qui représente mon identité, celle de tous les Algériens et de tous les habitants de la région nord-africaine», avait-il déclaré. La même attitude a été adoptée par Samira Messouci, militante du RCD et arrêtée en juin pour «port de l'étendard amazigh», lors de son passage devant le juge au mois de novembre. Celle-ci a été libérée près d'un mois plus tard après avoir été condamnée à six mois de prison ferme. On se souvient également que le moudjahid Lakhdar Bouregaâ, lors de sa détention, avait refusé de répondre aux questions du juge qui l'interrogeait, en lui signifiant qu'il ne reconnaissait pas «une justice aux ordres». Si le pouvoir en place avait, de l'avis de plusieurs observateurs, fait arrêter ces militants et activistes dans l'objectif d'affaiblir le hirak, c'est tout le contraire qui s'est produit. Les Messouci, Leftissi, Oggadi, Belarbi et autres ont été accueillis comme des héros à leur sortie de prison. Et ceux-là, réinvestissant la rue d'ailleurs au lendemain de leur libération, n'ont pas fléchi. En les emprisonnant, le pouvoir n'a finalement fait qu'«introduire» le mouvement populaire dans les tribunaux. Détenus et avocats, tout en remettant en cause les motifs des arrestations, en profitent pour faire le procès de la justice, en particulier, et du système politique en général. Ces détenus quittent souvent la prison plus déterminés que jamais. La mobilisation dans la rue n'a pas faibli non plus, les interpellations ne faisant apparemment plus peur aux manifestants qui reviennent à chaque fois à la charge. Le pouvoir a-t-il joué la mauvaise carte ? En tout cas, aujourd'hui, il est clair que ces détenus d'opinion représentent une problématique qui a mis dans l'embarras les plus hautes autorités du pays. D'où les «atermoiements» dans le traitement de ces affaires, ce qui se manifeste avec ces verdicts souvent contradictoires, en prononçant, pour le même motif, tantôt une relaxe, tantôt une condamnation. Un procureur de la République a même prononcé, il y a plusieurs jours, un réquisitoire dans lequel il a plaidé pour l'indépendance de la justice tout en réclamant la relaxe des prévenus. En optant pour la répression, et par extension en procédant à ces interpellations, le pouvoir n'a fait qu'élargir le terrain de la contestation. Les militants et activistes qui sont passés devant les juges et leurs avocats ont fait le reste. Censés affaiblir le mouvement populaire, ces procès n'ont fait finalement que le renforcer, et par la même booster la popularité de certaines figures du hirak. Karim Tabbou en est la preuve la plus parlante. Son portrait est désormais brandi par des milliers d'Algériens toutes les semaines à travers tout le territoire national. La logique répressive semble finalement produire l'effet inverse de celui souhaité par le pouvoir en place.