Quelle est la situation au sud du Yémen aujourd'hui ? Les deux groupes armés principaux de cette région sont très différents, à savoir Al Qaîda et les différents groupes séparatistes du Sud. Par exemple, les séparatistes du Sud ne sont pas vraiment un danger pour les étrangers, car ils utilisent leur alliance historique avec l'Occident pour essayer de gagner leurs faveurs pour mener leur mouvement contre le Nord. Ce qui signifie qu'il n'est évidemment pas dans leur intérêt de kidnapper ou menacer les étrangers au Yémen. Il y a même eu des cas où des drapeaux américains ont été brandis pour, semble-t-il, attirer l'attention des Occidentaux. On a plutôt l'impression de voir se défiler un conflit de mots et d'images. Mais certains aspects de ce conflit prennent des formes plus visibles. Ainsi, sur certains tronçons routiers entre Aden et le Nord, deux barrages routiers différents se font concurrence, ceux du gouvernement et ceux des séparatistes, où l'on voit les drapeaux des séparatistes, comme pour marquer leur territoire. Je pense qu'un marquage aussi explicite du territoire est nouveau dans leur bataille contre le gouvernement central de Sanaâ. Quel est le poids de l'histoire dans cette région du Yémen ? La mémoire est très importante au Yémen. Les Yéménites n'oublient pas la version de l'histoire dont ils ont hérité. Car l'on parle de deux histoires différentes, qui ont essayé de se combiner avec l'unification du Yémen. Le Sud était marxiste et avait une histoire coloniale britannique, alors que le Nord était un imamat avec une histoire nationaliste, islamique. Les termes de la réunification ont été perçus comme favorables au Nord. Ce sentiment d'injustice a entraîné la guerre civile de 1994, qui a conduit à une brève période de séparation, pendant laquelle Ali Salim Al Baidh était président du Sud. Il est difficile d'analyser les conflits au Yémen du Sud. Y a-t-il des liens entre certains groupes, comme Al Qaîda, et les groupes armés sécessionnistes ? Je ne pense pas que ces liens existent. Parce qu'ils ont des motivations et des méthodes d'organisation totalement différentes. Ceci est encore plus flagrant lorsqu'on analyse la manière avec laquelle ils opèrent. Al Qaîda est de manière explicite un groupe d'action violent qui opère avec différentes cellules indépendantes, qui souvent ne connaissent pas l'existence des autres cellules. Les séparatistes, ou sécessionnistes, ont une base d'action non violente et n'opèrent pas de manière secrète entre eux. Le but des séparatistes est concret : ils veulent annuler ou abroger l'accord d'unification avec le Nord et former un Etat indépendant. Tous les membres des groupes séparatistes n'ont pas pour but l'indépendance du Yémen du Sud, mais brandissent cette menace de séparation comme un moyen d'obtenir plus de pouvoir, plus de ressources dans le grand prisme de la politique nationale yéménite. En revanche, Al Qaîda travaille pour un but plus global, leurs actions sont vues comme une grande bataille contre l'ingérence occidentale et un combat pour l'Islam. Le Yémen est le pays le plus instable de la péninsule arabique. Est-ce que le Yémen est un Etat en décomposition ? Je préfère penser que ce pays est un « Etat miraculeux », en cela qu'il a réussi à survivre dans des circonstances extrêmes jusqu'à aujourd'hui. En revanche, certains analystes politiques décrivent le Yémen comme étant au bord de l'éclatement. Ce qui n'est pas mon opinion. Sa position, au large du golfe d'Aden, contribue à l'instabilité, due aux pirates somaliens et à une situation incontrôlable de réfugiés somaliens dans le Sud. L'économie est dépendante de ressources pétrolières qui s'épuisent rapidement. Je pense donc que les opportunités commerciales dans le Sud peuvent contrebalancer le tarissement des revenus pétroliers. La localisation du Yémen est importante et peut contribuer au dynamisme économique de cette région.