Les faits n'ont pas été médiatisés. Et pour cause, le pays est stratégique pour son voisin l'Arabie saoudite et les Etats-Unis. Sans compter qu'il contrôle la principale route du pétrole. La stabilité du pays serait, de l'avis d'initiés, en péril à la suite des violentes manifestations qui ont eu lieu dernièrement dans le Sud. Ces derniers jours, des milliers de manifestants sont descendus dans la rue dans les gouvernorats de Lahj, d'Al-Dhalei, de l'Hadramaout et d'Abyan, scandant des slogans anti-gouvernement et appelant à la sécession, au retrait de l'occupation nordiste. Environ 18 personnes ont été tuées au cours d'échauffourées entre manifestants et forces de sécurité et, plus inquiétant pour les autorités, des militaires ont également trouvé la mort lorsque des groupes armés ont attaqué des postes de contrôle. Ce sont les manifestations les plus violentes observées dans le sud du Yémen depuis sa réunification. Les manifestants qui étaient d'abord descendus dans la rue pour revendiquer leurs droits, appellent désormais ouvertement à la sécession. La République arabe du Yémen (nord) et la République démocratique populaire du Yémen (sud) se sont unies en 1990 pour former la République du Yémen. Mais cet Etat a été menacé une première fois lorsqu'en 1994 des dirigeants sudistes appelaient à la sécession. Des milliers de personnes ont été tuées au cours de sanglants affrontements. Sanaa a repris le dessus et 100.000 travailleurs civils et militaires du sud ont perdu leurs moyens de subsistance. Les doléances des sudistes sont restées d'actualité en raison de deux problèmes clés : la spoliation foncière dont se sont rendu coupables de hauts responsables du gouvernement nordiste à la suite de la guerre de 1994, et l'exclusion des fonctionnaires et des militaires sudistes, privés des postes à responsabilité au sein des autorités publiques. Les sudistes accusent également le pouvoir de meurtres politiques, de détentions arbitraires, d'exclusion du processus politique. Leur région est d'ailleurs marquée par l'omniprésence de camps et de postes de contrôle militaires. Les ressources pétrolières du Yémen se trouvent dans le sud, mais les sudistes se plaignent que le régime de Sanaa accapare les profits. Le Mouvement sudiste (MS), dirigé par d'anciens officiers militaires sudistes, paraît être l'élément fédérateur principal des opposants au régime. Il vient de prendre de la vitesse après l'adhésion de chef de tribus sudistes, dans le sillage de cheikh Tareq al-Fadli, éminent chef tribal du gouvernorat d'Abyan et ancien allié du président Saleh, qu'il a qualifié d'envahisseur. Le cheikh a appelé à “internationaliser” le cas du sud yéménite. Le sentiment sécessionniste est alimenté par la répression contre-productive du pouvoir qui n'a pas hésité à bombarder Radfan, faisant donner des assauts militaires continuels contre les manifestants. Ce qui fait renforcer la logique séparatiste. Les élections législatives initialement prévues pour le 27 avril 2009 ont été reportées de deux ans, en février, à la suite d'une longue campagne de boycott, menée par les mouvements d'opposition. Sur cette toile de fond, se projette également l'islamisme radical. Ben Laden y a vécu et a transformé ce pays voisin de l'Arabie saoudite, le cœur du wahhabisme, en vivier pullulant de djihadistes. Un tiers des détenus de Guantanamo sont Yéménites. En outre, la chasse aux Yéménites organisée depuis la première guerre du Golfe (1991) a bousculé le budget du Yémen qui reposait en grande partie sur les revenus de ses expatriés. La main-d'œuvre yéménite est proscrite en Arabie saoudite, sans emploi, les jeunes Yéménites soumis à une autre mesure saoudienne qui a mal tourné, la propagation du wahhabisme, versent dans l'islamisme radical. Riyad n'a pas été avare pour financer ses écoles de dressage et le président Ali Abdallah Saleh, comme ses pairs arabes, a fait souvent appel aux Wahhabites yéménites, pour faire échouer l'opposition, tout d'abord les communistes, les socialistes et les démocrates, puis les tribus rebelles du sud. Sanaa conscient de ses capacités de nuisance frappe aux portes du Conseil de coopération du Golfe dont les dirigeants jusqu'alors dédaignent son adhésion, pour la même raison que l'UE repousse la Turquie : la crainte que le Yémen devienne immédiatement le pays le plus peuplé du bloc. La population du Yémen dépasse celle des six membres du CCG confondus (le Qatar, le Koweït, les Emirats arabes unis, Bahreïn, Oman et l'Arabie saoudite). Le Yémen est un pays important d'un point de vue stratégique. Pas seulement pour l'Arabie saoudite ou les Etats-Unis, mais pour le monde entier, car c'est le seul pays de la péninsule arabique par lequel le pétrole peut atteindre le large sans passer par un détroit (détroit d'Ormuz ou canal de Suez). Mettre ce passage en danger revient à bloquer la voie de communication de l'économie énergétique mondiale. D'où la sollicitude de Riyad et de Washington.