Au deuxième jour du procès d'anciens responsables politiques et de concessionnaires automobiles, Abdelghani Zaalane, ex-ministre des Travaux publics, affirme avoir été désigné en tant que directeur de campagne du Président, candidat à un 5e mandat, par son frère conseiller Saïd Bouteflika. Mahdjoub Bedda, ex-ministre de l'Industrie, décrit une situation chaotique du département qu'il a eu à diriger durant deux mois, avant que les hommes d'affaires ne se «liguent» contre lui pour le «débarquer», dit-il. Le procès lié à l'affaire des indus avantages octroyés aux concessionnaires automobiles a repris hier avec l'audition de plusieurs prévenus. Dès l'ouverture de l'audience, Mahdjoub Bedda, l'ex-ministre de l'Industrie, passe à la barre. Il déclare : «J'ai été nommé en mai et limogé en moins de deux mois. Je n'ai travaillé ni sous Ahmed Ouyahia ni sous Abdelmalek Sellal. Tout le monde sait pourquoi j'ai été débarqué. Dès ma désignation, j'ai dénoncé les opérateurs qui faisaient le CKD-SKD. J'ai fait l'objet d'attaques violentes. J'ai compris que j'ai signé ma fin. Ils m'ont chassé de mon poste le 17 août 2017.» Le président : «Qu'avez-vous fait au juste ?» Bedda : «J'ai préparé un cahier des charges et un décret exécutif. L'actuel ministre, M. Ould Ali, que j'ai sollicité en tant qu'expert, est en train d'appliquer ma politique. Je n'ai pas trouvé un ministère, mais une ruche de guêpes. J'ai dû limoger 13 cadres du ministère pour assainir la situation. Habba, le directeur de cabinet de la Présidence, m'a envoyé un courrier me sommant de les réintégrer, mais j'ai refusé. Tout comme j'ai refusé d'assister à l'inauguration de l'usine de Sovac. J'ai quitté mon poste en héros, mais je me retrouve poursuivi sans savoir pourquoi.» Le président tente de le ramener aux faits et le prévenu ne cesse de répéter qu'il n'a même pas eu le temps de prendre des décisions. Le juge : «Vous aviez signé la décision technique au profit de Hacène Arbaoui de KIA Motors Algérie, alors qu'il n'avait même pas d'agrément.» Bedda conteste et le juge le confronte au document, avant que le prévenu n'explique : «Je n'ai rien accordé. C'est juste une attestation qui prouve que son usine existe et qu'il a des travailleurs.» «Ils se sont ligués contre moi» Le juge insiste sur les raisons qui ont poussé l'ex-ministre à signer les décisions techniques au profit de Arbaoui et lui ne trouve «rien d'illégal». Il rappelle les pressions exercées sur lui dès son installation au mois de mai 2017, période marquée par les élections législatives, en criant haut et fort : «Je n'ai donné aucun avantage.» Le procureur général lui demande pourquoi ne pas avoir déclaré un de ses comptes. «Le compte CPA, avec 7 millions de dinars. Avec mes salaires de député, ce montant a atteint 11 millions de dinars. J'ai toujours déclaré ces sommes.» Le procureur général revient sur les décisions techniques signées par le prévenu et ce dernier renvoie la balle vers sa secrétaire générale (devenue ministre sous Bedoui), qui, selon lui, étudie le dossier et n'envoie que le document à parapher. «Rien ne se fait sans elle», ne cesse-t-il de rappeler. Bedda cède sa place au richissime Ahmed Mazouz, patron du groupe qui porte son nom, propriétaire du centre commercial de Bab Ezzouar, à Alger, et à Oran, d'usine de sucre, d'entreprises de transport mais aussi de construction de camions. Interrogé sur le montant de 390 millions de dinars versé pour le financement de la campagne électorale du 5e mandat, il ne dément pas, mais nie avoir été encouragé par la participation de Ali Haddad, d'une valeur de 1,80 milliard de dinars, à cette campagne. «Moi-même je veux récupérer le montant de 1,30 milliard de dinars du Trésor public, placé dans le cadre de l'emprunt obligataire. Pourquoi aurais-je besoin d'avantages ?» Le procureur général lui demande d'expliquer les versements successifs en liquide sur un compte à Trust Bank d'un montant global de 1,28 milliard de dinars. «Je reçois des dividendes que je n'utilise pas mais que je ne peux verser. La loi ne me le permet pas. Mais toutes les vérifications des impôts sur moi et mes enfants n'ont abouti à rien. Je reçois annuellement de mes sociétés 6,48 milliards de dinars de dividendes.» Le parquetier lui demande : «Comment avez-vous obtenu un agrément, alors que vous n'aviez même pas trois ans d'expérience prévus par la loi ?» Mais c'est le président qui réagit : «Cette question doit être posée à l'administration pas au prévenu.» Il s'adresse à Arbaoui : «Vous aviez déclaré que Kouninef a bloqué votre usine de sucre et vous vous êtes plaint à Ali Haddad qui a promis de vous aider.» Le prévenu : «Au début, c'est ce que je pensais. Cependant, lorsque j'ai rencontré Kouninef en prison, il a démenti…» Le procureur général : «Qu'en est-il des six véhicules cachés à Riadh El Feth ?» Le prévenu : «Ce ne sont pas mes voitures.» Il explique au tribunal le projet du «pôle de construction de véhicules» avec les Sud-Coréens qui, selon lui, se sont engagés à transférer la technologie. «Ce pôle a été réalisé à 70% avec mes fonds propres de l'ordre de 2 milliards de dinars. Le partenaire sud-coréen est entré dans le capital de l'entreprise, en octobre 2019, alors que j'étais en prison. C'est pour vous dire la confiance placée en nous. Ils croient que leur projet en Algérie va permettre de réduire de 30% le prix des véhicules, avec exportation vers l'Europe et l'Afrique.» Le juge appelle Fares Sellal, le fils à Abdelmalek Sellal, qui explique avoir acheté des actions d'une des sociétés de Mazouz pour la somme de 9 millions de dinars, mais au bout de trois ans, il a quitté ce capital en prenant 11 millions de dinars de dividendes qu'il n'a jamais pris auparavant. Il cède sa place à Aboud Achour, ex-PDG de la BNA. D'emblée, ce dernier explique le caractère commercial de la banque et précise que lorsqu'un dossier répond à toutes les conditions et présente des garanties, il est validé. «Je regrette que le jour même où je devais être félicité pour les 36 milliards de dinars de bénéfice que j'ai pu dégager durant mon exercice, le tribunal m'a placé en détention», dit-il avant de présenter Arbaoui, comme un «bon client» qui respecte ses engagements et paye 1 milliard de dinars à la banque. Le prêt de 1,520 milliard de dinars qu'il a obtenu n'a pas été consommé et que le bateau qu'il acheté avec un crédit a été visité par un directeur régional, lors de son arrivée à Skikda. Me Miloud Brahimi, un de ses avocats, intervient : «Pourquoi cet homme est en prison ? C'est une honte qu'il soit poursuivi en violation de l'article 6 du code de procédure pénale, qui conditionne cette poursuite par une plainte du conseil d'administration.» La remarque fait sortir le procureur général de ses gonds. «Je suis ici pour protéger la loi. Ce n'est pas votre cas. Vous êtes habitué à ce genre de spectacle. Respectez l'audience !» La scène aurait tourné presque à l'incident, n'était la suspension de l'audience. Après 15 minutes, le juge reprend sa place. Me Bergheul tente d'apaiser le climat : «La déclaration de Me Brahimi est un cri, comme nous le lançons tous lorsqu'on est face à une injustice. Cette colère n'est pas contre la personne du magistrat, mais contre un système. Que tout le monde, prévenus, assistance et magistrats, nous en excuse.» «C'est le président qui m'a désigné en tant que directeur de campagne» L'audience reprend avec l'audition de Nouria Zerhouni, ex-wali de Boumerdès, qui tente tant bien que mal d'expliquer qu'elle n'a jamais signé de concession au profit de Mohamed Bairi, tout en reconnaissant avoir paraphé la décision de changement de la nature d'un terrain, devenu, selon elle, industriel bien avant qu'elle n'arrive, puisqu'il a été étudié et validé sous le mandat de son prédécesseur. Le magistrat lui demande pourquoi elle n'a pas annulé les deux décisions et elle répond : «Cela relève du tribunal, pas de mes compétences.» Le juge appelle Abdelghani Zaalane, ex-ministre des Travaux publics, et directeur de campagne électorale du Président déchu, pour un 5e mandat, poursuivi pour «financement illicite de la campagne». Il explique : «Le samedi 2 mars, après deux vendredis du hirak, j'ai été chargé de diriger la campagne du candidat par le Président lui-même. Le 5 mars 2019, j'ai été à la direction de permanence. Le jour où le Président s'est rétracté, donc tout a été annulé. Mon travail consistait en la préparation matérielle et non pas financière. Je n'ai pas ouvert de compte, ni encaissé ou déposé un chèque.» Le juge : «Qui vous a désigné ?» Le prévenu : «Le Président.» Le juge : «En personne ?» Le prévenu : «J'étais chez moi, le vendredi 1er mars, son frère et conseiller Saïd Bouteflika m'a appelé au téléphone et m'a dit que le Président en personne m'a désigné comme directeur de campagne. Il m'a demandé de passer le lendemain à la Présidence. Le lendemain 2 mars, c'est son secrétaire Rougab qui m'a reçu et remis un ordre de mission en tant que directeur de campagne. Vous pouvez vérifier tout ce que je dis par le listing des communications.» Abdelghani Zaalane nie avoir eu écho des participations financières et précise : «Je savais que dès les deux premiers vendredis du hirak, les gens qui avaient de l'argent ont vite fait de le cacher. Je suis comptable de ce que je fais, pas de ce que font les autres. Lorsque je suis arrivé à la permanence, j'ai trouvé le trésorier qui m'a déclaré qu'il y a des personnes qui ont remis des fonds, mais sans me donner de détails.» L'audition se poursuivait en fin de journée, avec quelques cadres de l'industrie et reprendra aujourd'hui.