Aucune émotion ne transparaissait hier sur le visage d'Ouyahia, Sellal et de tous les autres prévenus jugés dans l'affaire de l'automobile. Debout, face au juge, ils ont écouté sans même hocher la tête le lourd verdict prononcé à leur encontre. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - «Sans doute s'y attendaient-ils», commentent alors des avocats qui laissent, cependant, filtrer certaines rumeurs circulant sur le compte des anciens hauts responsables. «On nous a dit qu'à leur arrivée de prison, ils sont très nerveux, ne s'adressent presque pas, ou pas du tout, la parole. D'ailleurs, ils n'en ont pas le temps. Ils sont menés directement à la salle d'audience après avoir traversé les sous-sols du tribunal fréquentés par tous les détenus de droit commun ou criminels.» Ce mardi, jour du verdict tant attendu, ils passent moins d'une heure en salle. Le juge ne traîne pas. Après un bref récapitulatif des faits pour lesquels ont été jugés ces anciens hauts responsables et hommes d'affaires, il annonce les sentences. La plus haute peine a été appliquée à Abdeslam Bouchouareb, ancien ministre de l'Industrie en fuite et contre lequel, martèle le juge, a été lancé un mandat d'arrêt international. Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal ont été respectivement condamnés à quinze ans et douze ans de prison. Les deux anciens Premiers ministres avaient tenté de se défendre comme ils l'ont pu durant le procès. Ouyahia a fait, à plusieurs reprises, le parallèle entre des décisions similaires faites par l'actuel gouvernement pour amoindrir la gravité des faits qui lui étaient reprochés, mais son argument, ses explications techniques et ses références au droit n'ont en rien changé le cours du procès. L'on retient que l'ancien Premier ministre a été, selon les propos du tribunal, dans l'incapacité de justifier l'argent qui se trouvait sur trois comptes non déclarés. Lors d'un sévère réquisitoire fait par le procureur de la République, Ouyahia a même été qualifié d'homme sans principes et sans morale. Abdelmalek Sellal a agi de manière différente. Toute sa stratégie de défense s'est limitée à nier, d'abord, les chefs d'inculpation pour lesquels il était poursuivi, et attendrir la cour en jurant et en affirmant sa bonne foi. De ses propos, l'histoire retiendra ses différentes affirmations portant sur son incapacité à influer pour changer des décisions irrégulières prises par des ministres qu'il dirigeait. Sellal s'est également embrouillé lorsque le moment était venu d'expliquer l'origine des biens immobiliers, de sa Land Rover, et les raisons pour lesquelles il ne les a pas déclarés comme le veut la loi. Le juge a ordonné la saisie de tous les biens. Ils sont, en outre, déchus de tous leurs droits civiques. Les deux anciens ministres de l'Industrie qui ont comparu durant ce procès ont, eux aussi, écopé de très lourdes peines. Youcef Yousfi, qui était apparu très gêné de devoir faire face à la justice durant ce procès, et Mahdjoub Bedda ont été condamnés à dix ans de prison chacun. Zaâlane acquitté Dans le groupe des ministres condamnés, Abdelghani Zaâlane sort du lot. Il a été tout simplement acquitté par le juge. Durant le procès, Zaâlane avait basé sa défense sur le fait qu'il n'avait été chef de campagne que pour une durée de neuf jours. Il avait été désigné à la tête de la direction de la campagne électorale pour le cinquième mandat en remplacement de Abdelmalek Sellal, écarté pour des raisons inconnues. Durant son audition, Sellal avait utilisé le mot «renvoyé». Zaâlane avait également précisé être arrivé «deux semaines après le début du Hirak». Ce dernier demeure, cependant, poursuivi dans plusieurs autres affaires de corruption pour lesquelles il comparaîtra. Les trois hommes d'affaires ont été également condamnés à des peines variant entre trois et sept ans de prison. La plus lourde peine a été prononcée contre Ali Haddad qui n'a, cependant, pas comparu dans l'affaire de l'automobile, mais dans celle du financement occulte de la campagne présidentielle. Samedi, les propos de Haddad ont été à l'origine d'une décision d'amener Saïd Bouteflika au tribunal de Sidi-M'hamed. L'ancien patron du groupe ETRHB avait révélé au juge que la collecte de l'argent destiné à financer la campagne de Abdelaziz Bouteflika s'était effectuée sur instruction de Saïd Bouteflika. Le juge avait alors décidé de suspendre la séance, jusqu'à l'arrivée du concerné, mais celui-ci a décidé de garder le silence. Hacène Arbaoui, propriétaire de l'usine de montage auto KIA, a, quant à lui, été condamné à six ans de prison. Durant le réquisitoire du procureur, Arbaoui a été présenté comme étant une «personne sans expérience, un vendeur de voitures» ayant bénéficié de grands avantages de la part des deux anciens Premiers ministres et de Abdeslam Bouchouareb. Cet homme d'affaires avait été également lourdement accablé par les propos de Achaïbou, un entrepreneur écarté auquel de nombreux projets ont été refusés, dont KIA, donné à Arbaoui. Mohamed Baïri, responsable du groupe Ival, a, quant à lui, été condamné à trois ans de prison. Il était, entre autres, poursuivi pour obtention d'un lot de terrain agricole déclassifié dans la wilaya de Boumerdès. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Nouria Zerhouni, ancienne wali de Boumerdès, a comparu, elle aussi, durant ce procès, affirmant que le terrain en question avait été déclassifié par son prédécesseur et que cela était considéré comme étant légal. Nouria Zerhouni a été condamnée à cinq ans de prison, mais elle demeurera en liberté, a-t-on appris auprès des avocats, «car il n'y a pas eu de mandat de dépôt prononcé à son encontre ni avant, ni durant la prononciation de la peine». Farès Sellal, le fils de l'ancien Premier ministre, a été, quant à lui, condamné à trois ans de prison. Durant le procès, on a appris que ce dernier s'était associé à Mohamed Baïri et qu'il agissait à son compte, en usant du nom et de l'influence de son père. Farès Sellal, a rappelé dimanche le procureur, «n'a pas versé un sou pour entrer dans cette entreprise, mais à son départ, Baïri lui avait versé 11 milliards». Des indemnisations importantes Les anciens hauts responsables n'ont pas été seulement condamnés à des peines de prison, ils ont été également condamnés à verser des indemnisations importantes. Ahmed Ouyahia et les deux anciens ministres de l'Industrie doivent ainsi verser des indemnités au groupe Cevital. Celles-ci s'élèvent à 10 milliards de centimes. Abderrahmane Achaïbou, l'homme d'affaires qui avait témoigné en tant que partie civile durant le procès, se verra lui aussi verser des indemnités d'une même somme, 10 millions de centimes, par des cadres du ministère de l'Industrie qui l'ont lésé dans l'affaire KIA. Les anciens Premiers ministres, Ouyahia et Sellal, et les ex-ministres de l'Industrie condamnés doivent, quant à eux, lui verser une indemnisation d'un montant de 200 milliards de centimes pour dédommagement. Il faut dire que l'homme d'affaires Achaïbou avait fait fort durant le procès. Il avait dénoncé au juge les pratiques utilisées par Abdeslam Bouchouareb pour écarter ces dossiers. Selon lui, quatre correspondances adressées à Ouyahia sont restées lettre morte alors que Sellal lui avait confié être dans l'incapacité d'agir contre Bouchouareb car, affirmait-il, «ils (les plus hautes autorités) ne le sanctionneraient pas». Ouyahia et Sellal doivent aussi verser une indemnisation de 500 millions de DA à «Emin Auto». Le P-dg de cette entreprise avait révélé les pratiques incroyables qui sévissaient au sein du ministère de l'Industrie. Il avait accusé un «cadre du ministère de l'Industrie de lui avoir exigé de céder 40% des actions de la société en contrepartie de l'acceptation de son dossier de demande d'agrément, pour l'ouverture d'une usine de montage automobile. Il a, dans ce sens, fait savoir que les dossiers se font traiter au niveau du Conseil national de l'investissement (CNI). Les deux anciens Premiers ministres ne sont pas au bout de leurs peines : ils ont été sommés de verser également une indemnisation de 20 milliards au Trésor public qui s'était constitué partie civile dans cette affaire. A. C. Saïd Bouteflika sera-t-il inculpé ? L'opinion demeure sans nouvelles des suites données ou pouvant être réservées à l'affaire de Saïd Bouteflika après son passage au tribunal de Sidi-M'hamed. L'ancien conseiller et frère de Abdelaziz Bouteflika a été amené sur ordre du juge pour être entendu après avoir été cité par Ali Haddad au sujet du financement occulte de la campagne pour la présidentielle du cinquième mandat. Une fois arrivé à la barre, ce dernier a cependant décidé de garder le silence. Son attitude est considérée comme étant une «entrave au fonctionnement de la justice», nous ont expliqué plusieurs avocats, «dans la mesure où le droit au silence est accepté uniquement lorsqu'il s'agit des prévenus accusés». Saïd Bouteflika a, cependant, comparu en qualité de témoin et non pas d'accusé et se devait donc de répondre au juge afin de permettre d'établir la vérité sur les propos tenus par Ali Haddad. De nombreuses sources ont souligné ainsi la possibilité d'inculper l'ancien frère conseiller de Bouteflika pour entrave au fonctionnement de la justice. La procédure s'effectue au niveau du procureur général qui décide de l'inculper et d'ouvrir une instruction sur l'affaire. A. C. Tahkout et Eulmi impliqués dans de lourdes affaires Mourad Eulmi, propriétaire du groupe Sovac, et Mahieddine Tahkout n'étaient pas présents au procès de l'affaire du montage automobile. «Leurs dossiers sont en instruction dans d'autres affaires», a déclaré le procureur de Sidi-M'hamed lors du réquisitoire prononcé dimanche. Des sources judiciaires nous ont, en outre, affirmé qu'ils sont impliqués dans d'autres «affaires lourdes» pour lesquelles ils comparaîtront prochainement. A. C. Une centaine d'inspecteurs de l'IGF épluchent les dossiers Haddad L'affaire Ali Haddad semble bien loin d'être clôturée. Sa condamnation, hier, à sept ans de prison par le tribunal de Sidi-M'hamed pour financement occulte de la campagne de Bouteflika n'est qu'une partie des peines qui pourraient être prononcées à son encontre dans d'autres affaires. Des sources bien au fait de la situation affirment, en effet, que près d'une centaine d'inspecteurs de l'IGF travaillent actuellement sur ces dossiers. A. C.