Il y a quelques années, un matin de mai 2005, coïncidant avec la commémoration de l'appel des étudiants pour rejoindre l'ALN, je fus invité par le fils du défunt président Benkhedda, à la baptisation de l'université d'Alger qui devait porter à partir de cette date le nom de cet illustre patriote. Alger était belle, et un doux soleil régnait sur la ville, comme si le ciel voulait aussi participer à cette mémorable manifestation. Il y avait comme on dit du beau monde, des anciens moudjahidine, dont certains ont combattu sous ses ordres, des vieux du PPA, du MTLD, bien entendu, sa famille mais aussi de nombreuses personnes de tous les milieux pour qui l'occasion était donnée de rendre un nouvel hommage à celui qui est pour beaucoup considéré comme un géant de notre glorieuse révolution. Benkhedda, faut-il le souligner, a milité dès son jeune âge dans les partis nationalistes qui ont dès le début inscrit l'indépendance dans leur programme. Il va subir les pires souffrances, et notamment les affres de la prison, qu'il connaîtra avant l'âge de 20 ans (quand beaucoup se préoccupaient de gominer leur chevelure) pour avoir préconisé la désobéissance à de jeunes Algériens sommés d'intégrer l'armée française au moment de la guerre mondiale, non pour une quelconque allégeance au pouvoir nazi (qu'il exécrait d'ailleurs), mais estimant que cette guerre n'était pas la nôtre et en tout cas pas celle qui permettrait la libération de l'Algérie. Il sera par la suite toujours structuré dans le PPA ou le MTLD et au moment du déclenchement de la révolution, il sera désigné grâce à ses qualités humaines, sa disponibilité, son militantisme exemplaire et ses sacrifices, secrétaire général du parti dirigé par Messali Hadj. Des dissensions entre les militants l'empêchent d'être un des artisans du déclenchement de la Révolution pour laquelle il avait pourtant largement contribué et toujours souhaitée. Mais très vite, il rejoindra la lutte armée, et avec son ami Abane Ramdane, il préparera et organisera la Bataille d'Alger, avant d'être contraint et forcé à quitter l'Algérie et de rejoindre à Tunis ses frères de combat. Dès lors, il ne cessera de lutter de toutes ses forces pour que le combat de l'Algérie soit connu du monde entier et son indépendance acceptée. Il participera à toutes les grandes instances du FLN, sera ministre sous Ferhat Abbas, avant de devenir le 2e président du GPRA, et en temps que tel, c'est lui qui foulera le sol de l'Algérie indépendante. Fatigué par tous les efforts qu'il a accomplis, dépité par les luttes intestines de la course au pouvoir et affecté de ne pas figurer parmi les membres de la 1re Assemblée nationale constituante de l'Algérie, il préfère se retirer de la scène publique pour ne pas compliquer davantage le jeu politique. Toutes les personnes qui l'ont côtoyé à Alger, à Tunis, au Caire ou ailleurs diront que ce fut un grand homme. Il était sage, cultivé, humble, des qualités qui lui assureront toujours de la part de ses concitoyens respect et considération. Il est connu de tous qu'il a joué un rôle considérable pour préserver l'unité de notre direction à affronter les négociations avec le gouvernement colonial, et obtenir grâce à ses collaborateurs et collègues, Krim Belkacem, Benyahia et d'autres le maximum, notamment pour préserver l'intégrité du territoire national et ses principaux atouts économiques et culturels. Avec Benkhedda, l'Algérie pouvait s'enorgueillir de posséder en sa personne un homme de légende que tous les fils d'Algérie doivent connaître et apprécier. C'est sans doute pour toutes ces raisons que le président Abdelaziz Bouteflika, qui connaissait bien le défunt, a décidé que l'université d'Alger portera son nom. Il sera présent lui-même à la cérémonie, désirant, lui aussi, en tant que 1er magistrat du pays, rendre hommage à ce valeureux combattant. Inscrivant cette baptisation dans sa volonté d'œuvrer pour la réconciliation nationale, il a voulu aussi sans doute nous montrer la voie de l'écriture de l'histoire qui veut que l'on soit juste envers tous ceux qui ont écrit les plus belles pages de la lutte de notre éternelle Algérie. J'ai assisté à cette cérémonie, et toutes les personnes qui étaient présentes, dont certaines n'étaient pas forcément ses amis, ont reconnu que le choix de Benkhedda fut juste et judicieux. Aujourd'hui, on semble revenir sur cette décision, que cherche-t-on ? A enterrer une 2e fois ce grand homme de l'Algérie ? Que lui reproche-t-on ? D'être sage, d'avoir été un militant exemplaire, d'avoir fait ses études ou d'avoir décidé de ne faire partie d'aucun clan ? J'ose espérer que ce revirement n'obéit pas au souci de ne pas déplaire à certains clans ou classes politiques d'ici ou d'ailleurs. Enlèver le nom de Benkhedda du fronton de l'université d'Alger, c'est assassiner encore une fois tout ce qui reste de pur, de merveilleux et de glorieux. C'est vouloir aussi écrire l'histoire comme le désirent certains et non pas comme on doit le faire, en étant juste en relatant les faits comme ils se sont déroulés, en respectant tous les hommes qui ont donné le meilleur d'eux-mêmes et parfois sacrifié leur vie. On doit veiller à ne pas ternir cette glorieuse période de l'histoire de notre chère Algérie qui doit être au-dessus de tout le monde. Au nom des valeurs nobles du 1er Novembre, de grâce, ne revenez pas sur la décision de baptiser l'université d'Alger au nom de Benkhedda, car cela ne serait pas seulement une erreur, mais une faute très grave. L'auteur est : Professeur de cardiologie. Faculté de médecine Université Benyoucef Benkhedda d'Alger