Aujourd'hui, le traitement réservé aux déchets hospitaliers infectieux se pose avec de plus en plus d'acuité, ces derniers occasionnant des risques aussi bien pour la santé de l'homme que pour son environnement. Le mauvais traitement de ces derniers expose l'homme à tout un ensemble d'agents biologiques pathogènes (bactéries, virus et champignons). Cette négligence pourrait être à l'origine d'épidémie grave…Analyse Ce n'est pas une surprise : la mauvaise gestion des déchets hospitaliers peut être à l'origine de nombreuses conséquences sur la santé et l'environnement. Selon Dr. Amira Bergal, enseignant-chercheur sur les maladies infectieuses et tropicales émergentes à l'université Chadli Bendjedid d'El Tarf, les déchets constituent une menace pour la santé humaine et l'environnement et principalement pour les populations voisines des décharges publiques, à cause des nuisances olfactives et des émissions gazeuses dont certaines sont toxiques comme la dioxine, les acides chlorhydrique et fluorhydrique et les métaux lourds, dont les concentrations dans l'air sont très importantes à proximité des décharges. Selon elle, l'un des risques majeurs sur la santé humaine liés aux déchets est sans doute leur contamination microbiologique par divers agents pathogènes tels que les bactéries, les protozoaires, les virus et autres. «Il est important de mettre en relief cette caractéristique pour qu'elle puisse être prise en compte dans d'éventuelles mises en place de programme de valorisation et de recyclage des rejets atténuant ainsi leur impact sur la santé», explique-t-elle. Elle peut, selon Mme Bergal, également servir à la sensibilisation des personnes en contact direct avec les déchets et qui sont le plus souvent non protégées, aussi bien dans les pays industrialisés que dans les PED. Par ailleurs, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 80% des déchets liés aux soins de santé ne sont pas dangereux. Les 20% restant, en revanche, sont considérés comme dangereux et peuvent être infectieux, toxiques ou radioactifs. Abdelaziz Touati, professeur spécialiste en écologie microbienne à l'université de Béjaïa explique que ce sont les déchets d'activité de soins à risques, qui peuvent être de type biologique, chimique, radiologique, de type piquant/coupant ou infectieux, qui imposent le plus de mesures, même s'ils ne représentent qu'environ 10% des déchets hospitaliers. Pour lui, une mauvaise prise en charge de ces déchets fait courir un ensemble de dangers au personnel soignant, mais aussi à la population générale. Un avis partagé par Mme Bergal qui ajoute que l'ampleur du problème lié aux déchets des établissements de soins, notamment hospitaliers, est déterminée non seulement par l'importance de la production des déchets, mais aussi par le risque d'infection qu'il représente pour la santé de l'homme et pour l'environnement. Ce risque se définit, selon elle, par la probabilité de contracter une maladie due à un agent biologique pathogène présent dans le milieu ou à un geste invasif des instruments de travail. «Il varie selon la nature, la quantité, le métabolisme de l'agent pathogène qui peut être responsable de maladies infectieuses classiques et d'infections opportunistes», précise-t-elle. Et les exemples ne manquent pas. «Les risques d'infection nosocomiale sont très grands, surtout dans les services de réanimation», assure Mme Bergal. La cause principale étant essentiellement, selon elle, une mauvaise hygiène générale, un mauvais lavage des mains, des fautes d'asepsie mais également une mauvaise gestion des déchets hospitaliers qui entraîne la formation d'un aérosol microbien. «A ce propos, il y a lieu de souligner que selon un rapport de l'OMS, les décès dus aux maladies nosocomiales avoisinent les 5 à 8 % dans notre pays», se désole-t-elle. Autre exemple : Les agents de nettoyage au niveau des unités de soins peuvent être infectés par des seringues ou scalpels placés dans des récipients non étanches. D'ailleurs, les injections pratiquées avec du matériel contaminé et non correctement éliminé auraient provoqué, dans le monde, 21 millions d'infections par le virus de l'hépatite B et 260 000 par le VIH. Risque C'est pour cette raison que M. Touati estime que lorsqu'on parle de déchets hospitaliers, il est nécessaire d'y associer la notion de risque. Le risque principal se situe au niveau des piquants/coupants. Il est donc indispensable, selon lui, qu'ils soient placés dans des containers rigides pour éviter les blessures. Les risques infectieux concernent le tétanos, les hépatites virales, et dans une moindre mesure le VIH. Selon lui, le risque de contamination au VIH en cas de piqûre accidentelle est réel mais faible. On estime qu'un accident sur 250 environ entraîne une contamination du personnel infirmier. «En Algérie, toutes les seringues et aiguilles sont collectées dans une boîte étanche et résistante à la perforation en plastique (portant un symbole de danger biologique) contenant de l'eau de javel. Ces boîtes sont ensuite collectées et envoyées à l'incinération», précise-t-il. Les eaux usées de l'hôpital sont également, selon M. Touati, une source de contamination. «Ces eaux usées reçoivent les urines et les fèces des patients qui peuvent être chargées de bactéries pathogènes (salmonella, shigella, vibrio, …) et qui peuvent aussi être multirésistantes aux antibiotiques». Ainsi, si ces eaux usées ne sont pas traités, ces bactéries se retrouvent au niveau de divers environnements (rivières, plages, sols, …) et ainsi contaminer l'homme directement ou indirectement. Ces déchets de soins, étant des «réservoirs de micro-organismes» peuvent donc infecter les patients hospitalisés, les personnels de santé et le grand public. A savoir que dans les hôpitaux, la consommation moyenne en antibiotiques est 10 fois supérieure à la consommation moyenne en ville. «Ces antibiotiques exercent une pression de sélection sur la flore intestinale et favorisent les bactéries résistantes aux antibiotiques, qui sont excrétées via les fèces et se retrouvent dans les eaux usées. Ces eaux usées se retrouvent à leur tour dans l'environnement naturel dont les eaux de rivières et les eaux de mer», explique M. Touati. La présence de pathogènes multirésistants dans les eaux de surface accroît donc les risques encourus lors d'une infection d'origine hydrique puisque les possibilités thérapeutiques sont diminuées. L'Algérie, comme tous les pays du monde, fait face a une crise sanitaire sans précédent. Pourtant, une question reste en suspens : Comment doit-on traiter le matériel utilisé et infecté par le coronavirus. Masques, blouses ou encore draps d'hôpitaux souillés à cause du virus doivent être traités puis détruits avec énormément de précautions. Pour M. Touati, les établissements de santé publiques ou privés, y compris les laboratoires d'analyses médicaux privés, doivent éliminer les déchets issus de patients infectés ou suspectés d'être infectés par le SARSCoV-2 selon la filière classique des déchets d'activités de soins à risques infectieux. Autrement dit, ces déchets doivent être incinérés. Le spécialiste conseille par ailleurs aux personnes infectées, ou susceptibles de l'être (qui peuvent néanmoins être porteurs sains), qui sont maintenues à domicile, de mettre les déchets contaminés ou susceptibles de l'être (notamment les masques, mouchoirs à usage unique et bandeaux de nettoyage des surfaces) dans un double emballage après les avoir désinfectés à l'eau de javel. Mauvaises pratiques Toutefois, le rejet de polluants dans l'environnement lors du traitement ou de l'élimination des déchets de soins ne représente-t-il pas un risque indirect pour la santé. L'eau de pluie est, selon M. Touati, un parfait exemple pour illustrer le phénomène. En effet, le spécialiste explique que cette eau peut lessiver ces déchets et être ainsi chargée d'agents pathogènes. Le ruissellement de cette eau peut ainsi transporter ces agents pathogènes dans d'autres endroits (rivières, puits, nappes phréatiques, ..) et ainsi disséminer ces agents. «Cette eau peut être utilisée pour l'irrigation en agriculture et ainsi contaminer les légumes», précise-t-il. Autre exemple de pollution est les résidus de médicaments éliminés par les patients hospitalisés dans les eaux usées des hôpitaux. «Ces médicaments ou leurs métabolites actifs vont se retrouver dans l'environnement naturel et constituer un risque pour la population», ajoute-il. Mal réalisé, l'enfouissement des déchets peut contaminer l'eau de boisson. De la même manière, une incinération imparfaite peut entraîner le rejet de polluants dans l'atmosphère. Afin d'éviter tout risque, M. Touati estime que la meilleure solution est de mettre en place un système de tri des déchets pour recyclage et d'inciter les gens à recycler. Bien sûr, il faudrait aussi mettre en place des usines de recyclage de ces déchets. Cela réduirait le volume des déchets ménagers. «L'enfouissement, lorsqu'il est bien fait, peut également être une solution pour la bonne gestion des déchets ménagers. Nous pouvons par exemple proposer de faire d'abord le tri de tous les matériaux recyclables et de recourir à des sites d'enfouissement des autres déchets biodégradables comme les restes alimentaires», propose-t-il. De son côté, Mme Bergal constate que les principaux problèmes concernant les déchets liés aux soins de santé sont la méconnaissance des dangers sanitaires, l'insuffisance de la formation à la gestion des déchets, l'absence de systèmes de gestion et d'élimination des déchets, l'insuffisance des ressources financières et humaines et le peu d'importance accordé à ce problème. «Beaucoup de pays ne disposent pas d'une réglementation appropriée ou, s'ils en disposent, ne l'appliquent pas», précise-t-elle. Pour elle, ces déchets doivent être gérés avec plus d'attention et de rapidité afin d'éviter les nombreuses maladies associées à de mauvaises pratiques, dont l'exposition à des agents infectieux et à des substances toxiques. En termes d'amélioration à apporter dans ce domaine, la spécialiste fait 3 propositions. D'abord, la mise en place d'un système complet de répartition des responsabilités, d'allocation des ressources et de manipulation et d'évacuation des déchets. Il s'agit d'une action à long terme et les améliorations seront progressives. Ensuite, Mme Bergal estime que la sensibilisation aux risques liés aux déchets de soins et aux pratiques permettant de garantir la sécurité est primordiale. Et enfin, Mme Bergal estime qu'il faut opter pour des solutions sûres et respectueuses de l'environnement pour protéger des dangers les personnes qui manipulent, stockent, transportent, traitent ou éliminent les déchets. «Si des mesures peuvent être prises immédiatement à l'échelon local, les autorités doivent soutenir une amélioration durable partout», conclut-elle. Finalement, malgré l'origine animale des nouveaux virus (virus zoonotiques) comme ce fut le cas des trois derniers coronavirus humains (civette pour SARS-CoV1, dromadaire pour le MERS-CoV et chauve-souris pour SARS-CoV2), la négligence dans le traitement des déchets hospitaliers pourrait exposer l'homme à des virus nouveaux.