La reprise, la semaine dernière, par les forces loyales au gouvernement d'union nationale (GNA) des principales villes conquises en Tripolitaine par la milice de Khalifa Haftar au cours de l'année 2019, ne s'explique pas uniquement par l'aide militaire (blindés, drones, systèmes de défense antiaériens) fournie par la Turquie. Le GNA n'a pu avoir le dessus sur les troupes de Khalifa Haftar et renverser en sa faveur le rapport de force sur le terrain que grâce aussi aux milliers de mercenaires envoyés par Ankara. Sans l'appui de ces combattants aguerris, la bataille de Tripoli aurait certainement pris une tournure bien moins avantageuse pour le GNA. Devant justement le risque de voir Tripoli tomber entre les mains de Khalifa Haftar, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s'était empressé, dès la fin de l'année 2019, de dépêcher en Libye des mercenaires syriens (ou ayant opéré en Syrie) pour soutenir son protégé, Fayez Al Sarraj, qui était alors en mauvaise posture. Selon diverses sources, un groupe initial de 300 hommes de la deuxième division de l'Armée nationale syrienne (ANS), rassemblant des groupes rebelles syriens financés par la Turquie, a quitté la Syrie, par le poste-frontière militaire de Hawar Kilis, le 24 décembre 2019, pour prendre la direction de la Libye. Selon Rami Abdel Rahman, directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme basé à Londres (OSDH), le nombre total de mercenaires syriens acheminés en petits groupes par voie aérienne en Libye a dépassé, le 12 avril, les 5100 combattants. Aujourd'hui, on parle même de 5300 mercenaires. Avec leur apport, le GNA semble sur le point de faire céder totalement le siège que lui impose depuis une année autour de Tripoli Khalifa Haftar, lequel se fait lui aussi aider par des mercenaires russes et soudanais et une légion de salafistes. 2000 dollars et la nationalité turque Pour «motiver» tous ces mercenaires à se battre contre les troupes de Khalifa Haftar, Ankara leur a promis un salaire moyen de 2000 dollars, la nationalité turque et une prise en charge médicale en cas de blessures. Selon le quotidien britannique The Guardian, qui cite plusieurs sources, les combattants syriens (et non syriens) auraient signé des contrats de six mois avec le gouvernement d'accord national (GNA), reconnu par la communauté internationale, et non avec l'armée turque. Ils ont vu, ainsi, leur salaire multiplié par 20 par rapport à celui qu'ils percevaient en Syrie. Ce flux de mercenaires ne va pas s'arrêter, puisque des sources militaires européennes évoquent de nouvelles arrivées. L'OSDH, proche des rebelles syriens modérés, signale quant à lui le passage, ces derniers jours, de la Syrie à la Turquie, de centaines de combattants non syriens opérant dans des milices djihadistes à Idleb. Il y aurait parmi eux de nombreux Chinois de la région du Xinjiang (ou du Turkestan). Selon la même source, le passage de la frontière entre les deux pays a lieu près de la ville syrienne d'Azmarin, à mi-chemin entre Idleb, Antioche et la province turque de Hatay, où se trouveraient des camps d'entraînement pour «militants» syriens. Ce mouvement de mercenaires se déroulerait, selon l'OSDH, au vu et au su des services de sécurité turcs et des miliciens du mouvement Harakat Tahrir Al Cham (anciennement Front Al Nosra), une coalition de milices proches d'Al Qaîda qui combat depuis des années le pouvoir de Damas. Selon des sources syriennes citées par plusieurs médias, la Turquie a également encouragé l'afflux de miliciens ouïghours, dont bon nombre ont combattu sous l'étendard de Daech. Pour beaucoup, ces vétérans du conflit syrien ne peuvent aller qu'en Libye où d'anciens djihadistes de diverses origines opèrent déjà aux côtés du GNA. Il est difficile de croire en effet qu'Ankara a l'intention de les garder sur son sol ou de les rapatrier dans leur pays d'origine, où ils seraient certainement traités comme des terroristes.