La production de fraises, cette année, s'est limitée à 23 000 quintaux seulement, alors qu'en 2009, elle avait dépassé les 24 000, au moment où la superficie cultivée reste presque la même : 270 ha, avec des rendements pouvant atteindre les 80 q/ha. Cette superficie a été équilibrée, en quelque sorte, par de nouvelles parcelles implantées à l'ouest de la wilaya, car dans les terres traditionnelles de la fraise de Skikda, les choses se sont nettement aggravées. Dans quelques années, les terres de Grande Plage, Stora et Ben Zouit ne produiront plus lemkerkba (la dodue), la fraise autochtone qui a si longtemps contribué à la prédominance de la fraise dite de Skikda. Les producteurs, ayant, près d'un siècle durant, pu pérenniser un label local et une prédominance gustative presque mondiale, devront donc changer de registre et penser à d'autres cultures. Le constat est amer et les lendemains ne sont rassurants, du moins pour cette région. Selon Aziz Dridah, ingénieur agronome et subdivisionnaire agricole, « les superficies cultivées à Aïn Zouit, véritable fief de la fraise locale, qui étaient de 140 ha en 2000, ont chuté aujourd'hui pour ne représenter que 58 ha ». Pour expliquer ce phénomène inquiétant et qui n'est pas sans retombées économiques sur plus de 150 familles habitant ces versants côtiers, notre interlocuteur dira : « Ces terres qui ont abrité la fraise autochtone depuis 1920, ont fini par être saturées et le sol par s'appauvrir. Et comme les terres entourant ces parcelles sont du domaine forestier, il reste difficile pour les agriculteurs de trouver de nouvelles parcelles à exploiter. » Mais pour les agriculteurs ou plutôt les exploitants, cette régression des parcelles cultivées s'est imposée à eux comme un destin. Ils disent, à ce sujet : « Nous ne disposons même pas de pistes carrossables pour prétendre commercialiser notre production dans de bonnes conditions. C'est une filière marginalisée et nous cultivons la fraise presque manuellement, en plus nous n'avons pas les moyens de prétendre à un quelconque enrichissement des sols en engrais ou autres intrants. Devant le manque d'encouragement, on finit par ne cultiver que de simples parcelles que nous utilisons pour nos propres besoins. » Les difficultés que vit la filière au niveau local se sont directement répercutées sur le prix de vente. Cette année encore, lemkerkba s'est fait des ailes en se vendant 250 DA le kilo, avec des pics atteignant les 300 DA. L'année passée, elle a été cédée entre 150 et 200 DA. Paradoxal pour un produit du terroir ! Les exploitants sont incriminés, mais ils s'en défendent. « Nous ne vendons pas au détail et ce sont les intermédiaires qui décident du prix », justifie un exploitant de Stora. Il explique : « La fraise locale est très fragile et nous sommes obligés de faire les premières récoltes à l'aube pour les vendre immédiatement à des grossistes qui viennent de plusieurs villes du pays et à des intermédiaires locaux. » Du producteur au consommateur local, la fraise transitera obligatoirement par d'autres intermédiaires avant de finir chez des jeunes vendeurs au marché couvert. Autre paradoxe, en pleine fête de la fraise, qui est la période où la production atteint ses sommets, les prix enregistrent une flambée extraordinaire, obligeant les citoyens à se rabattre sur les framboises ou les fraises de Jijel, beaucoup moins chères. Pour l'ensemble des Skikdis, lemkerkba demeure un produit de luxe, une réalité qui ne fait que la séparer de son propre fief, en attendant des jours meilleurs. Mais, ce futur devra néanmoins passer par l'implication directe des pouvoirs publics. La labellisation du produit se fait attendre depuis une décennie déjà. Adulée mais jamais soutenue, lemkerkba ne sert en réalité que de simple prétexte à des fêtes folkloriques qui mettent beaucoup plus en valeur les autorités locales que l'essence-même de cette merveille de la nature. On a tué la fraise de Skikda.