La conjonction de toutes ces tares et contrariétés ont engendré une inextricable agglomération de contraintes se multipliant à l'infini, au grand dam des gestionnaires de la station thermale qui ne peuvent se substituer à la puissance publique pour sauvegarder les précieux gisements d'eaux thermales menacés par une expansion urbaine débridée. Par Mohamed-Seddik Lamara (*) A elle seule, la proximité des abords de Oued El Hammam des griffons d'où jaillissent les résurgences thermales constitue un casse-tête majeur exigeant une étude approfondie pour le réaménagement et la protection des berges de ce cours d'eau livrées à toutes sortes d'incursions, humaines et animales et, dans le sillage de celles-ci, à une multitude de pollutions (ordures ménagères, bouses de vaches, crottes de chiens errants, cadavres de bouteilles abandonnés par les adeptes de Bacchus…) Thermalisme volontariste C'est dans cette ambiance, loin de constituer le vivier idéal à l'émulation et à la créativité, que les responsables de la station thermale, tentent, tant bien que mal, de maintenir un niveau de prestations sans cesse mis à mal par l'afflux toujours croissant de curistes et le gel depuis près de trois décennies de l'augmentation des capacités d'accueil. Celles générées, au début des années quatre- vingts, par la réalisation de l'Hôtel Beni Chougrane, sont bel et bien dépassées. Cet établissement, comme les thermes qui lui sont rattachés, sont certes encadrés par un personnel aguerri, avenant, professionnel et disponible, mais dont le volontarisme, renouvelé tous les ans, est arrivé à ses limites extrêmes. M. Salem ayant cumulé quasiment l'âge de cet hôtel, en bons et loyaux services, soulignera à ce propos, « tout un chacun est ici animé de bonne volonté pour maintenir le cap d'un thermalisme irréprochable, mais les contraintes, tant endogènes qu'exogènes, sont multiples et parfois fastidieuses, et elles exigent, pour leur dépassement, un plan d'action intégré et multisectoriel subordonné à une approche nationale à long terme. » Au-delà de son caractère généreux, cette analyse globale ne restitue pas, loin s'en faut, la réalité profonde de la situation, parfois peu reluisante, du thermalisme à Bouhanifia et, par extension, au niveau du territoire national où l'on compte quelque cinquante (50) stations thermales régionales et pas moins de deux-cent-vingt (220) sources thermales qui attendent d'être mises en valeur. Le pari pour « fouetter » ce créneau très porteur par sa quadruple vocation médicale, scientifique, touristique et récréative, est incontestablement immense, mais à la portée des capacités du pays pour peu que l'on s'apesantisse davantage sur le professionnalisme et qu'on opère une rupture définitive avec l'improvisation et les méthodes de replâtrage. Car, au risque de se méprendre, le thermalisme ne se limite pas aux clichés du « barbotage » dans les eaux chaudes et autres massages proches des « pétrissages » de « tayabet el hammam », mais constitue une activité ayant ses canons propres et des domaines de prédilection faisant intervenir une diversité de sciences (médicales, physiques, chimiques, géologiques, hydro-géologiques, psychosociologiques, etc.) et des technologies pointues concourant au bien être des curistes. A ce propos, le Dr Chami Kartali, un des deux médecins chargés du suivi médical des curistes déplore, quelque part, la non-application du savoir qu'il a acquis au cours d'une formation spécialisée (France) en thermalisme et hydro-climatologie médicale. « Notre rôle se limite à confectionner des profils standards pour les curistes et le plus malheureux est qu'en tant que thérapeutes et premiers interfaces vis-à-vis de ces derniers, nous ne sommes nullement associés à la prise de décision ni ne faisons partie du conseil d'administration. » Etourderie ou exclusion volontaire ? Dans les deux cas, cela ne peut être qu'une option impardonnable dans la mesure où le médecin hydro-climatologue est un partenaire de premier plan dans la détermination des approches thérapeutiques, à l'exemple de l'utilisation des eaux radioactives selon les normes internationales. A ce titre, il est un élément incontournable dans la problématique de gestion des eaux thermales et par conséquent dans l'établissement du cahier de charges. Un tel document, a-t-il été relevé, n'existe pas à la station de Bouhanifia. Existe-t-il ailleurs ? La question reste posée, comme dirait Lazouni. Comme on n'en est pas à une pesanteur près, le système de gestion des stations thermales publiques relevant des EGT ne permet pas, malgré l'autonomie dont elles jouissent, de libérer les initiatives. Ainsi, le carcan des conventions de branches solde toute ambition de faire appel à un personnel spécialisé compétent, particulièrement en kinésithérapie, branche où les salaires sollicités sont en deçà de ceux offerts par les EGT. Fatalement, cette contrainte a favorisé le recours au tout-venant se traduisant par le recrutement d'agents dans le cadre du filet social. Formés sur le tas et peu motivés sur le plan pécuniaire. Hocine, le chef du service soins de la station thermale a réussi à insuffler un amour certain du métier aux jeunes recrutés dans les diverses spécialités (hydrothérapie, physiothérapie, électrothérapie, rééducation fonctionnelle, bains de boue…) Mais seront-ils maintenus ? Et quelle motivation peut les subjuguer quant on sait que la plupart d'entre eux n'a bénéficié que d'un CDD ? Peuvent-t-ils prétendre à une formation spécialisée afin de les intégrer à titre de permanents. Autant de questions que se posent ces jeunes et sympathiques « thermalistes » à qui ne manque, pour être plus performants, que la réalisation d'une espérance légitime : l'acquisition d'une formation spécialisée qui, peut-on estimer a posteriori, a été confortée par une expérience pratique des plus concluantes. Fatima constitue un exemple édifiant des anachronismes dont souffre la station thermale de Bouhanifia. Recrutée (en CDD) en tant que psychologue, elle ne pratique nullement son métier du fait qu'elle n'a pu disposer d'un local pour recevoir les patients. Faute de quoi, elle a été affectée au bloc rééducation. Pourtant, sa spécialité, loin d'être superfétatoire, comme a tenté de nous le faire admettre l'un des responsables de la station, est plus que souhaitable en raison de la nécessité d'assister psychologiquement les curistes âgés souvent sujets au stress et à la survenue d'effets indésirables consécutifs au syndrome de la « crise thermale ». Vœux pour un thermalisme intégré L'avènement d'un thermalisme intégré en Algérie n'est pas pour demain, soutiennent les spécialistes nationaux de l'hydro-climatologie médicale. A ce titre, les publications dédiées à l'hydrologie thermale algérienne peuvent être d'une utilité capitale pour les décideurs. Ainsi, les communications du Dr Aziz Lounis, médecin hydro-climatologue sont édifiantes quant à la nécessité de disposer d'informations crédibles et vérifiées d'ordre physico-chimiques en matière de ressources thermo-minérales en Algérie. En effet, ces informations peuvent, opportunément, être mises au service, non seulement des étudiants et de la communauté universitaire, mais surtout des investisseurs intéressés par l'exploitation des sites thermo-climatiques algériens et des autorités et élus locaux à l'effet de les orienter efficacement sur l'utilisation des normes d'aménagement de ces sites. Pourtant, affirment ces mêmes spécialistes, « chaque commune disposant d'un gîte thermal avait reçu le listing de ses sources et potentialités thermales avec les propositions d'aménagement (matériel, appareillage, encadrement…) en fonction de la minéralisation et de la spécialisation des futures stations thermales. » Or, sur le terrain, la triste réalité renvoie à un tableau peu idyllique accréditant la thèse — au même titre que celle ayant dévergondé l'exploitation des eaux minérales et de sources — d'une main basse amateuriste et mercantile sur nombre de sites thermaux. Toutefois, le plus désolant est de constater que ces tares ne sont pas uniquement imputables aux particuliers obnubilés par le gain rapide avec une adjonction minime de valeur ajoutée, mais peuvent être reprochées à la plupart des stations relevant du secteur public. A ce propos, le Dr Chami Kartali de la station thermale de Bouhanifia, dont la liberté de ton n'a d'égale que la gratitude que lui vouent les curistes pour son abnégation, déplore « l'absence totale d'approche scientifique dans l'utilisation des eaux thermales du site qui compte six (06) sources principales, totalement dédiées aux maladies rhumatismales, alors que par leurs différences au plan de la température, de la composition physico-chimique et du degré de radioactivité, elles peuvent être appliquées à un large panel de pathologies. » Dans cette perspective, et outre les vœux d'associer au moins un médecin au conseil d'administration de l'EGT Tlemcen dont relève la station de Bouhanifia et de créer au niveau du ministère du Tourisme et de l'Artisanat une direction chargée exclusivement du thermalisme, le Dr Kartali suggère la nécessité d'une prise en charge globale et pluridisciplinaire des autres pathologies, à l'exemple de la fibromyoalgie, du rhumatisme psoriasique, et de la spondylarthrite ankylosante (SPA) — dont la prévalence est exponentielle — de renforcer et de spécialiser l'encadrement paramédical et de concrétiser le projet de réalisation d'un hôpital orthopédique. Que de vœux en effet ! « Mais face à l'attentisme des responsables locaux, si prestes à exploiter les faire-valoir pour bien paraître aux yeux de leur hiérarchie, au point de tourner le dos aux richesses qui les entourent, on ne peut, malheureusement, prétendre à un renouveau certain de ce haut lieu du thermalisme national », confiera avec une moue dubitative un vieux oligarque de Bouhanifia. Et pourtant, la collectivité (APC), tire, a-t-il été révélé, de substantielles recettes (100 DA sur chaque curiste) de l'exploitation des eaux thermales de Bouhanifia. Le plus gros des actions dans cette cité est consacré à la voierie, ce qui est louable, mais les opérations indispensables à la protection et à la préservation des sources et de leur environnement immédiat semblent être le dernier souci des édiles pour en laisser le soin aux managers de la station thermale, largement dépassés par le poids de leurs missions et, au final, à un ministère du Tourisme longtemps ballotté entre la figuration folklorique et un artisanat qui aurait du être « le véritable battement du temps humain. » (Suite et fin) * Ancien journaliste à l'APS, consultant en communication