Pour Brahim Guendouzi, professeur en commerce international, tant que les conditions de production en termes de travail, de logistique et de financement, restent en l'état actuel, il y a un fort risque d'une détérioration dans l'alimentation des populations dans certaines régions fragilisées du monde. -Quel est l'impact de la crise sanitaire sur les échanges commerciaux entre pays ? La pandémie Covid-19 induite par le virus SRAS-CoV-2, dont les conséquences sont tragiques sur le plan humain et sanitaire, a également des retombées considérables sur le plan économique et social. Les mesures de confinement prises par les Etats en guise de prévention contre la circulation du coronavirus et sa contagion ainsi que la fermeture des frontières des pays, ont eu pour effet immédiat l'arrêt des processus de production et la mise au chômage technique de milliers de travailleurs. Des secteurs d'activités sont déjà entrés en crise comme par exemple les transports particulièrement l'aérien, le BTP, l'automobile, l'hôtellerie et la restauration, etc. La situation s'est aggravée avec la chute brutale et inédite des cours du pétrole brut, fragilisant ainsi les producteurs et exportateurs. Par ailleurs, Les mesures de déconfinement restent aléatoires et la situation sanitaire fragile dans plusieurs pays, rendant ainsi difficile et incertaine une reprise de l'activité économique. Pratiquement, l'économie mondiale est rentrée en récession économique en raison de la crise de la sphère réelle due à la contraction de la demande puis de l'offre de biens et services, même si le secteur financier mondial garde encore une certaine résilience. Aussi, en pareilles circonstances, ressurgissent les réflexes du protectionnisme. Les échanges commerciaux entre pays ont enregistré une baisse sensible du fait des perturbations constatées dans le fonctionnement des chaînes de valeurs mondiales,force de frappe du commerce mondial. Ceci a fait réagir l'OMC et le FMI, attirant l'attention sur les conséquences négatives sur les systèmes productifs globalisés dans les mois à venir, avec des risques de faillite de nombreuses entreprises. -Quelles conséquences sur la sécurité alimentaire avec les décisions prises par certains pays à l'image de la Russie (pour le blé) d'arrêter l'exportation des produits agricoles ? Les arrêts imposés aux activités productives lors des confinements durant plusieurs semaines dans des pays réputés grands producteurs de produits agricoles et alimentaires, alors que la consommation a continué normalement puisqu'il fallait assurer partout l'alimentation des populations, ont eu pour conséquence une pression sur le niveau des stocks des biens alimentaires. D'autant plus que la fermeture de plusieurs frontières ainsi que la perturbation que connaissent les compagnies des transports aériens et maritimes, font que la dimension logistique est venue s'ajouter aux autres contraintes que subissent les processus d'approvisionnements. Les produits agricoles sensibles comme par exemple les céréales font justement l'objet pour le moment de mesures protectionnistes car le marché international va subir un ajustement entre l'offre et la demande contraire à celui du marché pétrolier, dans le sens où il va falloir reconstituer les niveaux des stocks de sécurité au moment où la situation sanitaire reste encore fragile. D'autant plus que nous somme à la veille de changements stratégiques de la part des Etats sur le plan économique du fait que certains pays sortiront nécessairement fragilisés de la crise sanitaire, entraînant une évolution des rapports de force économiques ainsi que la vision que l'on a de la mondialisation, qui ne sera dorénavant plus la même. -Qu'en serait l'impact sur les échanges agricoles sachant que de nombreux pays sont dépendants des importations pour assurer les besoins alimentaires de leurs populations ? L'économie mondiale étant rentrée en récession, le premier réflexe des Etats consiste à compter sur leurs propres ressources économiques. Les incertitudes liées à la disponibilité de biens alimentaires ont déclenché une vague de restrictions à l'exportation y compris en Algérie. Les pays fragiles notamment ceux à revenus faibles et surtout endettés, vont subir sévèrement cette crise économique. D'où la crainte exprimée par la FAO et l'OMC d'une pénurie alimentaire mondiale. Tant que les conditions de production en termes de travail (main d'œuvre confinée ou ne pouvant se déplacer), de logistique (les transports sont pratiquement à l'arrêt) et même de financement, restent en l'état actuel, il est à craindre d'une détérioration dans l'alimentation des populations dans certaines régions fragilisées du monde. Seule la coopération internationale et la solidarité pourront contribuer à amortir le choc aussi bien sur le plan alimentaire que par rapport aussi aux produits pharmaceutiques et de protection, objet d'une forte pression. -Quid de l'Algérie et de ses moyens pour faire face à une telle situation ? L'économie algérienne étant extravertie, subi évidemment les conséquences de la récession économique mondiale, que ce soit à travers ses revenus extérieurs liés au brusque revirement du marché pétrolier, que par rapport à ses approvisionnements en raison du ralentissement des échanges commerciaux internationaux, mais aussi compte tenu de la situation sanitaire qui prévaut dans ses principaux pays fournisseurs (Chine, France, Italie et Espagne) gravement confrontés à la pandémie du coronavirus. Cette crise sanitaire vient nous rappeler que notre système productif est faible et en même temps fragile car dépendant des importations d'inputs et surtout de produits alimentaires. Or sur le plan stratégique d'une nation, il est indispensable d'accumuler des capacités productives qui serviront à faire face à des crises graves comme c'est le cas aujourd'hui. La chaîne des approvisionnements étant perturbée à l'international, La gestion des stocks des biens essentiels pour la consommation des ménages doit être de mise car les processus d'achat à l'importation sont complètement désarticulés en raison justement de la pandémie qui touche tous les processus productifs. Les achats de l'étranger mettront alors plus de temps. Les pouvoirs publics doivent montrer de la réactivité concernant les réseaux de distribution au niveau national pour éviter la rétention de stocks en produits alimentaires par les réseaux de la spéculation. Le développement de l'industrie agroalimentaire revêt alors une dimension stratégique et il faudra initier le plus grand nombre de projets possibles pour d'une part, faire de la substitution aux importations, et d'autre part, arriver à assurer autant que faire se peut la sécurité alimentaire. Est-il besoin de rappeler qu'une baisse de la facture alimentaire passe nécessairement par une augmentation de la production nationale supposant un important effort d'investissement dans l'agriculture, particulièrement dans les filières des céréales, du lait, des viandes et du maraîchage. Les pouvoirs publics doivent faire l'effort financier pour venir en aide aux entreprises en difficulté mais également donner plus d'incitations afin de relancer l'investissement dans toutes ses formes, afin de mettre l'économie nationale dans une trajectoire de diversification. Aussi, il faut s'attendre une grande pression sur les moyens de paiements extérieurs pour limiter les dégâts de la dépendance.