Fuyant la chaleur, les prix excessifs et le carcan des mœurs, de plus en plus de musulmans de France observent le jeûne du Ramadhan de préférence dans l'Hexagone plutôt qu'au bled. Plusieurs familles ont préféré avancer leurs vacances pour être de retour en France au début du mois du jeûne. « Cet été, les vagues de départ en vacances ont commencé début juin, alors que normalement, c'est plutôt vers le 23-25 juin, et le pic de retour se situe entre le 8 et le 10 août », constate Meziane Idjerouidene, directeur général de la compagnie aérienne Aigle Azur. « L'an dernier, le Ramadhan (qui débutait le 22 août, ndlr) avait déjà un peu décalé les dates de retour, mais là, ça s'est amplifié », note le directeur de la compagnie, qui transporte 1,7 million de voyageurs chaque année, dont 50% vers le Maghreb. Même constat à la Société nationale maritime Corse-Méditerranée (SNCM) qui dessert la Tunisie et l'Algérie. Elle enregistre de « gros retours vers le 7-8 août, alors que d'habitude, pas du tout ». Les déplacements ne sont pourtant pas proscrits en période de Ramadhan, ni plus contraignants. « En termes de jurisprudence islamique, celui qui voyage est dispensé du jeûne », rappelle Michel Reeber, historien des religions. Pour l'auteur d'une Petite sociologie de l'Islam (2005), les raisons de ces retours en France sont plutôt à chercher du côté des facteurs « climatiques et de contrôle social ». « Dans les pays musulmans, le contrôle social est plus fort. On est tenu à un certain nombre de règles, de pratiques religieuses. Ici, c'est beaucoup plus souple », avance-t-il. Mounir Zaïda, 30 ans, responsable sécurité dans la banlieue sud de Paris, avoue avoir « pété les plombs » après avoir passé « trois semaines de Ramadhan au Maroc » en 2005. Cet été, il a préféré s'y rendre entre fin juin et début juillet, surtout pour ne pas se trouver là-bas au moment du mois du jeûne. « Je n'aime pas passer tout le Ramadhan là-bas (...). C'est trop dur, il n'y a rien à faire. Les gens travaillent, il fait trop chaud. On ne peut même pas aller à la plage car on ne peut pas voir les filles, il faut éviter les tentations. On ne peut pas profiter », lâche-t-il. Doria, 37 ans, mère de trois enfants, passe « systématiquement ses vacances en Algérie » mais cet été, elle aussi a avancé ses vacances « à cause du Ramadhan ». « Il fait trop chaud en août pour jeûner sur place. La fréquentation de la plage n'étant pas compatible avec le Ramadhan, il n'est pas possible d'y aller sans prendre le risque de se faire insulter ou carrément agresser. En plus, la cuisine prend beaucoup de temps avec tous les plats à faire. Du coup, on passe les journées à la maison », déplore-t-elle. Cette assistante maternelle d'Aubervilliers, en banlieue nord de la capitale, préfère « passer le Ramadhan en France » où, confie-t-elle, « je peux aller voir des concerts, prendre un thé en terrasse... » Nostalgique des « anciennes années » de Ramadhan au bled, Abdallah, un quinquagénaire parisien, évoque l'« ambiance de fête » qui régnait alors. « Le repas ressemblait chaque jour à une fête avec beaucoup de personnes autour de la table. Le soir, c'était de longues veillées », se souvient-il. Aujourd'hui, il ne s'y rend plus, déplorant les « tensions », l'« hypocrisie » et « les commerçants (qui) augmentent les prix ». La communauté musulmane en France, la plus importante en Europe, est estimée entre cinq et six millions de personnes, majoritairement originaires d'Afrique du Nord, au sein d'une population de plus de 64 millions d'habitants.