Comme il fallait s'y attendre, le gouvernement d'union nationale (GNA) a opposé une fin de non-recevoir à la proposition de règlement politique de la crise libyenne annoncée, samedi au Caire, par le président égyptien Abdelfattah Al Sissi et comprenant l'instauration d'un cessez-le-feu qui devait prendre effet hier ainsi que l'adoption d'une déclaration constitutionnelle. «Nous n'avons pas commencé cette guerre, mais nous sommes ceux qui décident où et quand elle se termine», a réagi le porte-parole des forces alliées au GNA, Mohamed Gnounou. De son côté, le président du Conseil présidentiel du GNA, Fayez Al Sarraj, a appelé dimanche soir à «poursuivre les sacrifices pour chasser les milices criminelles et les mercenaires entrés en Libye de toutes parts». Même son de cloche du côté de Khaled Al Michri, le président du Haut Conseil d'Etat libyen, qui a dit «rejeter ce plan qui émane d'une partie vaincue». Le plan de sortie de crise de l'Egypte avait déjà, dans l'absolu, peu de chance d'être accueilli favorablement à Tripoli. Pourquoi ? Outre son caractère unilatéral, la proposition faite en présence de Aguila Salah Aïssa, président du Parlement libyen, et de Khalifa Haftar, chef de l'autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL), dont les troupes sont actuellement en déroute sur plusieurs fronts, présentait l'inconvénient d'avoir été formulée par Le Caire, une partie impliquée dans le conflit. Un protagoniste se trouvant, selon le GNA, du mauvais côté de la barrière. Défaite militaire Mais il n'y a pas que cela. Les autorités à Tripoli ont surtout vu dans la démarche prônée par Abdelfattah Al Sissi une manière pour l'Egypte et son protégé Khalifa Haftar de chercher à transformer une défaite militaire en une victoire politique. C'est un chef militaire extrêmement affaibli autant politiquement que militairement qui s'est en effet rendu au Caire pour donner son quitus à la proposition égyptienne. Ses unités ont subi, ces deux derniers mois, des revers importants face à Tripoli, qui lui font perdre toute possibilité de réaliser son objectif de s'emparer de la capitale libyenne et de se proclamer leader de la Libye. Aujourd'hui, il est menacé jusque dans son propre camp. Il s'agissait également pour ses sponsors de trouver le moyen de stopper la progression des forces alliées au gouvernement d'union afin d'éviter qu'elles ne s'emparent des villes de l'Est libyen après leur reconquête de la Tripolitaine. Un tel scénario signifierait tout simplement la mort politique de Khalifa Haftar et l'éjection de l'Egypte du jeu libyen. Frappée dès le départ de suspicions, c'est avec une grande tiédeur que la proposition égyptienne a été reçue par les pays voisins de la Libye, surtout que Le Caire a fait cavalier seul. Le chercheur au Clingendael Institute de La Haye, le politologue Jalel Harchaoui, soutient l'idée que «le plan de paix égyptien a peu de chance d'aboutir car il arrive en retard», estimant que «le conflit libyen n'en est pas à son épilogue et qu'il peut encore de s'étaler dans le temps». Opération «Sentiers de la victoire» C'est le scénario qui semble effectivement se profiler à l'horizon puisque les forces alliées au GNA, conscientes désormais qu'elles sont en position de force, ont affiché leur détermination à poursuivre leur avancée en direction de l'Est. Au moment même d'ailleurs où le président Abdelfattah Al Sissi présentait son initiative politique pour la Libye, Tripoli annonçait le lancement de l'opération «Sentiers de la victoire» pour bouter son ennemi hors des villes de l'Est et du Centre, au premier rang desquelles se trouvent Syrte et Al Jofra. Le porte-parole des forces alliées au GNA, Mohamed Gnounou, a confirmé dans une déclaration publiée sur Twitter que des instructions avaient été données à leurs forces pour lancer l'attaque et avancer sur Syrte, ajoutant que «depuis 14 mois, nous (le GNA, ndlr) appelons les anciens et les dignitaires de Syrte à entendre raison et à épargner à la ville le fléau de la guerre». «Aujourd'hui, nous envoyons le dernier appel, et nous ne reculerons pas pour rétablir le contrôle de l'Etat sur Syrte», a-t-il assuré. Située sur la côte, à 450 km à l'est de la capitale, Tripoli, la ville est un verrou stratégique entre l'est et l'ouest du pays. Jusqu'où pourront avancer les forces du GNA ? Les alliés de Khalifa Haftar, parmi lesquels la Russie, l'Egypte et les Emirats arabes unis, laisseront-ils la Cyrénaïque et son riche croissant pétrolier libyen tomber sous le contrôle de Fayez Al Sarraj et de son décisif allié turc ? Le président Abdelfattah Al Sissi a «mis en garde toute partie en Libye contre toute intention de poursuivre une solution militaire à la crise du pays», suggérant par là qu'il pourrait encore intervenir en faveur des autorités parallèles de l'Est libyen. Mettra-t-il sa menace à exécution ? Le politologue Jalel Harchaoui pense que «si le Caire ne vole pas au secours de Haftar – qui n'a pas les moyens militaires suffisants pour faire face aux forces du GNA –, personne ne le fera à sa place», précisant que les Russes refuseront de faire le travail seuls. Selon lui, Moscou peut aussi bien faire des affaires avec Tripoli. A la différence de l'Egypte, la Turquie et la Russie ont les moyens de convaincre les belligérants libyens d'observer un cessez-le-feu s'ils considèrent que cela peut travailler leurs intérêts. C'est la raison pour laquelle certains chercheurs considèrent que la Libye est passée sous suzeraineté turco-russe.