La jeune boxeuse de 25 ans a créé un véritable exploit, en compagnie de sa coéquipière en sélection, Imane Khellif, en février dernier, en devenant les premières femmes de la boxe algérienne à composter leurs billets pour les Jeux olympiques. Intégrant le monde de la boxe il y a tout juste 5 ans, avec un parcours d'athlète atypique, la native de La Chiffa raconte, pour El Watan, les péripéties qui l'ont menée jusqu'au noble art, sport exclusivement masculin en Algérie, et devenir ainsi l'une des deux boxeuses algériennes à se qualifier pour des JO. Entretien réalisé par Tarek Ait Sellamet
-Qu'est-ce cela vous procure d'être l'une des premières femmes à représenter la boxe algérienne à des Jeux olympiques (JO-2021 de Tokyo) ? C'est un honneur et une fierté d'être, en compagnie de mon amie Imane Khellif, les deux premières femmes boxeuses à représenter l'Algérie dans le plus grand événement sportif de la planète que sont les Jeux olympiques. On était cinq femmes à prendre part au tournoi qualificatif disputé au Sénégal en février dernier, malheureusement on n'a été que deux à décrocher nos billets pour Tokyo. C'est une fierté et un sentiment du devoir accompli, puisque depuis que j'ai commencé à pratiquer ce sport, ma seule ambition est de défendre les couleurs nationales. Dieu merci, c'est grâce à la boxe, que je pratique seulement depuis 5 années, que j'ai réussi à atteindre cet objectif. Et de surcroît dans un sport où la femme algérienne n'a jamais été représentée par le passé aux JO. C'est une joie immense. Je vous confie d'ailleurs que pendant toute une semaine, je n'arrivais pas à me persuader que j'ai réussi cet exploit. C'est un objectif que je visais depuis deux années avec la sélection, et c'est vraiment avec une émotion particulière, pleine de fierté que je savoure le fruit de notre travail. -Qu'est-ce qui vous a motivée à aller chercher cette qualification, surtout que vous ne pratiquez ce sport que depuis cinq années ? D'abord, le fait qu'aucune boxeuse algérienne n'a réussi cet exploit par le passé. Mais aussi parce que la boxe est considérée, notamment en Algérie, comme un sport exclusivement masculin. Il y a aussi le fait que durant ces cinq années, j'ai toujours été sacrée championne d'Algérie, donc j'ambitionnais de progresser, de me distinguer à l'international. A ce titre, je suis double vice-championne d'Afrique dans ma catégorie (-51 kg) et médaillée d'or aux derniers Jeux africains. Cela m'a motivée à faire encore plus, à me battre et à faire des sacrifices pour évoluer et réaliser d'autres exploits, et le résultat c'est cette qualification historique aux JO. Je dois aussi remercier nos entraîneurs en club et en sélection. Notamment Brahim Mekhlouf, qui est mon entraîneur en club et avec l'EN. Ils ont vraiment cru en nous, et ils nous ont transcendées pour aller chercher cette première participation aux JO de la boxe féminine algérienne. -Justement, la boxe a été un pourvoyeur de médailles pour l'Algérie, peut-on dire que vous ambitionnez de faire de même à Tokyo ? Tout à fait. L'objectif premier a été atteint en décrochant cette qualification, historique du reste. Maintenant on ambitionne de ne pas juste aller à Tokyo pour participer. Et pourquoi ne pas offrir une première médaille à la boxe féminine algérienne dès notre première participation. Je reste même persuadée qu'on pourra créer la surprise à Tokyo et réaliser un véritable exploit. -On vous sent très ambitieuse pour ces JO de Tokyo ? Il n'y a pas que de l'ambition. Il y'a aussi le fait qu'on croit réellement en nos chances, après ce qu'on a réussi à l'échelle internationale. On a pris part à des tournois, à des championnats d'Afrique et à des Mondiaux. On a pu jauger notre niveau. Lors des Championnats du monde de 2018 en Inde, j'ai terminé 9e. Une année plus tard, en Russie, j'ai été classée par les organisateurs 5e meilleure boxeuse du tournoi, et je n'ai été battue que de très peu par celle qui sera sacrée par la suite championne du monde. On a vraiment nos chances et une grande marge de progression. Avec du travail, une très bonne préparation et du matériel adéquat, des moyens et du soutien, je suis persuadée qu'on pourra viser le podium à Tokyo. -Justement, les athlètes qualifiés aux JO ont été conviés récemment à une réunion avec Noureddine Morceli, le secrétaire d'Etat chargé du Sport d'élite. On imagine que c'était l'occasion de réclamer ce soutien et ces moyens de préparation, surtout qu'en ce moment vous avez été contrainte à l'arrêt avec la fermeture des infrastructures sportives en raison de la pandémie de coronavirus ? C'était en effet l'occasion de soulever nos préoccupations. J'ai même pris la parole et je n'ai pas caché que cette réunion aurait dû se tenir bien avant, et pas après trois mois d'arrêt. Une longue période d'arrêt et inappropriée pour des athlètes d'élite qui se préparent pour les JO. Je pense qu'on aurait pu nous regrouper dans un centre, puisqu'on est qu'une douzaine d'athlètes qualifiés à ces JO, et ne pas gâcher trois mois de préparation. Par ailleurs, chacun de nous a soulevé les problèmes de sa discipline, notamment au niveau de la préparation et de prise en charge. M. Morceli a été à l'écoute et il a promis de tout faire pour nous aider à surmonter les problèmes, et à nous fournir la préparation adéquate pour pouvoir engranger des médailles à l'échelle internationale, ce qui est du reste notre objectif commun. -Ne craignez-vous pas que ce long arrêt affecte votre préparation et votre niveau, même si les JO de Tokyo ont été décalés d'une année (juillet-2021, ndlr) ? En fait, heureusement que ces JO aient été reportés d'une année, sinon cela aurait été une véritable catastrophe. Il y a aussi le fait que ce sont tous les athlètes à travers le monde qui ont été contrariés par cet arrêt forcé, durant ces derniers mois, en raison de cette pandémie. On est donc à plus d'une année de ces JO, et on aura, heureusement, le temps de récupérer notre retard dans la préparation et de la parfaire. -Revenons à votre parcours. Comment une jeune femme comme vous s'est retrouvée dans le monde de la boxe, un sport réputé d'hommes ? En fait, je me suis retrouvée dans la boxe par hasard et à l'âge de 20 ans de surcroît. Mais dès mon jeune âge, j'étais attirée par les sports de combat. Donc, j'ai fait du judo, ensuite je suis passée au karaté. Mais le peu d'ambition de l'équipe à Chiffa (Blida) m'a poussée à abandonner. Figurez-vous qu'on n'avait même pas les moyens de prendre part aux compétitions nationales, et c'est mon père qui m'y emmenait. Par la force des choses, j'ai fini par abandonner en raison du manque d'ambition. Et c'est là que j'ai été contactée par l'entraîneur de boxe du club de l'IRB Chiffa. Il m'avait en fait remarquée quand je faisais du karaté et combien j'étais hargneuse et combative. Il m'a alors proposé de rejoindre le club de boxe. J'étais vraiment hésitante au départ, surtout que moi-même étant persuadée que ce sport n'était pas fait pour les filles. L'entraîneur m'a donc invitée à visiter d'abord la salle avant de proposer son offre. J'y suis donc allée par pure curiosité. Et c'est ainsi que j'ai entamé ma jeune carrière de boxeuse. Finalement, c'est le sport qu'il me fallait et mon entraîneur a eu le bon coup d'œil. Ainsi, les sacrifices que j'ai consentis en pratiquant du karaté, je les ai finalement récoltés en exerçant la boxe ! -Et que pensez-vous de la boxe féminine en Algérie au vu de votre jeune expérience ? La boxe féminine en Algérie est l'enfant pauvre de cette discipline. Déjà que beaucoup voient d'un mauvais œil qu'une femme pratique la boxe, sans parler que les femmes boxeuses sont beaucoup moins considérées que leurs homologues hommes. On accorde moins de moyens et d'aide aux boxeuses, par rapport aux boxeurs. Il est vrai que la boxe masculine algérienne a fait ses preuves, notamment dans les JO et les Mondiaux, mais avec de la confiance et des moyens, les boxeuses peuvent, elles aussi, honorer l'Algérie et lui offrir des médailles olympiques.