Khadidja, une adolescente de 14 ans, et sa compagne du même âge sillonnent l'autoroute allant de Douaouda vers Alger pour vendre des galettes. Elle a commencé cette activité à l'âge de 9 ans. Elle est contrainte à l'exercer sans pour autant percevoir aucun sou pour la tâche qu'elle doit assumer. « C'est ma mère qui prépare les galettes. Je les vends et je lui remets l'argent. C'est elle qui assure les dépenses », nous dit cette fillette au visage marqué. Au sortir de l'enfance, Khadidja donne l'air d'avoir la trentaine avec son visage creusé, son teint hâlé et son regard pénétrant. Au cours d'une courte discussion, rien n'indique qu'elle n'a que 14 ans. Sa manière de converser et de raconter sa misère, sa prudence à l'égard des personnes étrangères rendent compte d'une prise de conscience précoce chez cette adolescente qui ne connaît le sens de l'activité ludique que pendant ces quelques moments de pauses, attendant avec ses compagnons l'arrêt d'un véhicule. « On est originaire de Aïn Defla, précisément de la localité de Ouled Ali. Nous avions dû fuir le terrorisme. Mon père est venu s'installer à Douaouda », raconte-t-elle. Depuis cet exode, la famille de Khadidja, composée de 9 personnes, vit dans des conditions sociales des plus lamentables. « Mon père travaille comme agent de nettoyage dans une mosquée. Il touche 3000 DA par mois », fait-elle savoir, précisant que ses trois grands frères ne travaillent pas. Aujourd'hui, Khadidja sacrifie son repos afin d'aider sa famille. Elle voudrait être comme toutes les adolescentes de son âge, se détendre et s'occuper de son apparence physique. Mais la dure réalité de sa famille la prive de toutes ces bonnes choses dont rêve toute adolescente de son âge. Dure quotidien Le travail des enfants dans l'informel, comme en témoignent les scènes quotidiennes, démontre le vécu ardu de nombreuses familles algériennes. L'enquête réalisée par les services de l'Inspection du travail en 2008 ne révèle que 0,17% d'enfants qui travaillent. Cette enquête n'a ciblé que le secteur économique. Mais les résultats sont loin de refléter la réalité concernant les enfants exploités, dans la mesure où la quasi totalité de ces jeunes exercent dans l'informel. Et dans la plupart des cas, les parents sont complices. A défaut d'une prise en charge familiale, ces enfants, dont le nombre augmente, se débrouillent comme ils peuvent. Vendre des cigarettes dans leur quartier, des m'hadjeb sur les plages en cette période où les estivants affluent, est une pratique à laquelle recourent ces gosses pour se faire de l'argent. Mais, les images les plus frappantes sont celles de ces enfants qui s'installent au bord de l'autoroute pour vendre des galettes. Ils sont là dès le matin, un panier entre les mains ou déposé à proximité, guettant toute la journée les automobilistes. Il suffit qu'un véhicule s'arrête pour qu'ils se précipitent pour convaincre le conducteur d'acheter leur produit. Au milieu de l'autoroute où les véhicules roulent à vive allure, ces gosses ne songent même pas au danger qu'ils courent. Ce qui compte pour eux c'est de vendre le maximum de galettes. Lors d'une virée hier sur l'autoroute menant de Douaouda vers Alger, il nous a été donné à constater que ces enfants sont livrés à eux-mêmes. Ni leurs parents ni même les autorités concernées ne s'inquiètent de leur sort. Ils sont exposés aux différentes formes d'exploitation, bien qu'ils affirment le contraire. « On ne risque rien. On a l'habitude de travailler ici. On ramène avec nous même les bébés de 2 ans afin qu'ils s'habituent. On est pauvres et on n'a personne pour nous prendre en charge », minimise un adolescent de 16 ans, réalisant que la misère qui les frappe est perpétuelle en l'absence d'une vraie politique de solidarité et d'insertion sociale. En effet, ni le danger de l'autoroute ni la chaleur caniculaire ne retiennent ces enfants de pratiquer leur activité habituelle. La seule chose qui les dérange est la présence des photographes de la presse. Dès qu'ils voient une caméra ou un appareil photo, ces enfants abandonnent leur marchandise et courent dans tous les sens. Certains ont même développé une certaine phobie envers les médias. « Tout le monde vient nous questionner sur notre vécu. Ils ne pourront rien changer de toute façon », a commenté une jeune fille de 14 ans, qu'un adolescent interrompt : « Presque tous les journalistes sont venus ici nous poser les mêmes questions. On ne laisse personne nous prendre en photo. S'ils les publient, tout le monde nous reconnaîtra après. » Abandon et démission Bien qu'il n'ait pas eu la possibilité de lire quotidiennement la presse nationale, cet adolescent semble en connaître pratiquement tous les titres. Ils sont fatigués de raconter à chaque fois leur vécu sans qu'ils puissent le changer. De plus, depuis que les médias s'intéressent à leur vécu, aucune organisation étatique ou privée n'a cherché à aider ces gosses qui prennent en charge leurs familles. De prime abord, ces petits débrouillards véhiculent tous la même image, celle qui rend compte d'une vie pénible, d'un sentiment d'abandon et de démission des parents censés faire face à tous les maux ciblant leur progéniture. Cependant, approchés, ces enfants racontent des faits qui semblent dans la plupart des cas dépasser la volonté des parents. La vente de galettes est tellement rentable que les parents ne pensent même pas à l'avenir de leurs enfants. Privés d'activités ludiques, Youcef et Mahdi, âgés respectivement de 12 et 10 ans, sont deux frères qui n'ont pas connu la saveur des vacances depuis quelques années. Ils s'installent durant toute la journée sur la route dans la localité de Staouéli. « Je vends quotidiennement 20 galettes à 25 DA chacune », affirme Mahdi qui a refusé qu'on le prenne en photo.Youcef veut nous convaincre que l'activité qu'il exerce avec son frère depuis quelques années est une initiative personnelle. Mais leur apparence les trahit. Ils portent des vêtements sales en loques, des claquettes déchirées laissent apparaître leurs chétifs pieds couverts de poussière, reflétant l'incommodité de l'endroit où ils s'installent. Les deux frères essaient tout de même de cacher leur misère. Leurs tristes visages nous font de larges sourires durant notre rencontre. « Dès qu'on vend toutes les galettes, on part à la plage. On passe nos vacances comme tous les autres enfants de notre localité », assure Youcef qui découvrira, dès la rentrée scolaire prochaine, le collège. Contrairement à certains enfants qui se trouvent dans la même situation, ce garçon tient beaucoup à ses études. « Je veux faire des études et devenir policier. Mon but est de lutter contre la déliquescence, la violence à laquelle on assiste quotidiennement dans les rues et les dépassements de certains conducteurs qui ne respectent pas le code de la route », ambitionne-t-il. Conscients du danger de la route, ces deux frères ont opté pour une route nationale, où la circulation est moins rapide que sur l'autoroute.