Tout a commencé en janvier dernier avec l'introduction dans l'organigramme du gouvernement d'un ministère délégué chargé de l'Agriculture saharienne et des montagnes. Une mission confiée à Foued Chehat, ancien directeur de l'Institut national de recherche agronomique (INRA). Depuis, les annonces s'enchaînent d'un programme pour lequel les ambitions affichées semblent grandes, mais démesurées de l'avis de bon nombres d'observateurs et d'experts agronomes au fait du dossier. Ces derniers évoquent surtout la lourdeur des investissements à consentir dans ce cadre. Or, la situation financière du pays ne le permet pas eu égard aux difficultés actuelles. L'Algérie a donc pris le pari de développer l'agriculture saharienne dans un contexte marqué par de nombreuses contraintes, ce qui suscite inquiétudes et interrogations de part et d'autre. Un premier pas est déjà franchi avec l'approbation le 21 mai dernier du décret exécutif portant création de l'Office national de l'agriculture saharienne après la décision prise en Conseil des ministres le 3 du même mois. La mission principale d'un tel organisme est le développement de l'agro-industrie. Ce qui veut dire que le gouvernement mise sur l'intensification de la production pour assurer les besoins destinés à la transformation agroalimentaire. Ce qui signifie également que les ressources hydriques seront fortement exploitées dans le Grand Sud pour les grandes surfaces. Au-delà de l'utilisation rationnelle de l'eau pour l'irrigation, il s'agit aussi d'assurer des sources d'énergies moins coûteuses pour les investisseurs potentiels. Or, dans ce cadre, le constat est bien là : le développement des énergies renouvelables dans le Sud connait un grand retard en dépit du potentiel existant. A ce sujet, l'on est en effet toujours en phase d'élaboration de la feuille de route interministérielle dédiée au développement de l'utilisation des énergies durables dans le secteur agricole dans les régions du Sud et des Hauts-Plateaux. Pourtant, les annonces ne manquent pas sur cette question. Tout récemment, le ministre de l'Energie, Mohamed Arkab, a fait part d'un raccordement électrique en cours de 2800 périmètres agricoles répertoriés. Il a également fait savoir que près de 990 périmètres ont déjà bénéficié d'un tel dispositif. Au total, il est prévu l'installation de 4000 MW de renouvelable entre 2020 et 2024, répartis en huit lots de 500 MW couvrant toutes les régions du Sud et des Hauts-Plateaux. Du côté de l'environnement, il s'agit d'installer plus de 1000 MW d'ici 2030, dont 500 MW à horizon 2024 pour l'irrigation de 180 000 hectares. Des chiffres à travers lesquels le gouvernement veut donner l'image d'un travail qui se fait pour baliser le terrain aux grandes exploitations agricoles dans le Sud. D'ailleurs, Foued Chehat a parlé d'une nouvelle méthodologie de coordination interministérielle dans ce cadre. Une manière de rassurer que les erreurs commises dans les programmes précédents ne soient pas rééditées. Car, il faut le rappeler, ces derniers n'ont pas donné les résultats escomptés faute notamment d'un travail coordonné. Des tentatives et des déceptions Au final, l'approche adoptée a été coûteuse sans toutefois réduire la dépendance de l'Algérie vis-à-vis des marchés extérieurs. Sofiane Benadjila, expert agronome, l'a bien mentionné dans une nouvelle étude. Revenant sur toutes les expériences menées dans ce cadre, il relèvera : «Au sein du ministère de l'Agriculture, une multitude de tentatives ayant pour objectif la conquête du Sahara ont été entreprises dans le cadre de plusieurs programmes élaborés au cours du temps.» Ces tentatives ont pris des proportions importantes dans les années 80, mais, sans grands effets. Exemple : En 1969, l'Algérie a inauguré le Projet d'Abadla, situé à proximité de Béchar. L'expérience d'une agriculture «désertique» moderne, devait se réaliser sur 5400 ha de périmètres et de fermes pilotes. «Censé être irrigué par le barrage de Djorf Torba, alimenté par les eaux de crues de l'Oued Guir, il a une capacité théorique de 360 millions de m3, pouvant irriguer, a-t-on dit, 18 000 ha. Conçu par des experts américains, selon le mode de la grande exploitation mécanisée à l'américaine : unité de gestion 1000 ha, parcelles de 12 ha minimum, Très vite apparurent les insuffisances de l'étude», rappellera M. Benadjila évoquant entre autres une irrégularité dans la disponibilité des réserves hydriques. Depuis 2014, des opérations de réhabilitation du périmètre d'Abadla ont été lancés pour quelque milliards de dinars. «Mais, a-t-on recadré la problématique, dans un contexte de contraintes environnementales ? A-t-on abordé l'anthropisation avec une ingénierie qui introduit une révision des rapports humains dans la nature, pour un scénario de durabilité ?», s'interroge notre expert. Et de répondre : «Les travaux qui ont été entamés laissent entendre que ce n'est pas le cas, comme s'il n'y avait pas de leçons à tirer de l'échec du passé, comme si rien n'a évolué entre 1969 et 2014, comme si un demi-siècle n'avait pas suffi à faire murir la réflexion…. On aurait pu comprendre que l'agressivité de l'aridité est sans concession. Les contraintes classiques du milieu, non négociables, ne laissent aucune marge de manœuvre, elles ne tolèrent ni le bricolage et ni l'amateurisme.» Cela pour dire que le chantier de l'agriculture saharienne est des plus complexes à mener pour des raisons multiples : financières, techniques et environnementales, mais aussi sociales. Les contre-performances sont bien réelles, sinon comment expliquer les maigres résultats des anciens programmes. Inscrite parmi les priorités des différents plans d'actions gouvernementaux, l'agriculture saharienne reste pour l'heure confinée autour de quelques filières consommatrices d'eau loin des cultures stratégiques. Le professeur Ali Daoudi, de l'Ecole nationale supérieure d'agronomie (ENSA) le soulignera dans une analyse intitulée «La néo-agriculture saharienne : entre mirages et réalités». «Les trente dernières années, la mise en valeur a nourri de grands espoirs et engendré beaucoup de déceptions également», dira-t-il. Pour notre expert, les résultats remarquables réalisés par certaines filières, cultures maraîchères et phoeniciculture principalement n'ont d'égales que les contre-performances des productions dites stratégiques (céréales, fourrages, lait), qui ne décollent pas malgré les efforts publics. «Les nombreux cas d'échecs et d'abandons de candidats à la mise en valeur (grands et petits), l'arrivée de nouveaux candidats, qui semblent mieux adaptés, montrent que le processus de mise en valeur en zones arides n'est pas encore totalement maîtrisé et que le tâtonnement reste important», analyse le professeur Daoudi. Lourdeur des investissements Un tâtonnement que le gouvernement cherche à éviter via ce nouveau programme. Foued Chehat a annoncé dans ce cadre l'indentification de périmètres irrigués dans sept wilayas du pays d'une superficie de 260 000 ha. Les cultures envisagées sur ces nouvelles terres sont les cultures stratégiques (céréales, fourrages, betterave à sucre, soja, colza, arachides, élevage laitier). Objectif à terme : valider 1 million d'hectares à mettre par des concessionnaires, mais quid de la rationalisation de l'utilisation de l'eau ? «L'Etat imposera des règles d'utilisation rationnelle de l'eau au moyen d'un cahier des charges», dira le ministre délégué à ce sujet. Mais ne fallait-il pas commencer par évaluer tout ce qui a été déjà fait ? Une question qui s'impose connaissant les limites auxquelles se sont heurtées notamment les grandes exploitations agricoles installées dans le Sud entre le poids des investissements, la remontée des sels, la pollution, les faibles rendements des filières stratégiques et le déficit en main d'œuvre qualifiée. Ce qui est à l'origine de l'inexploitation des terres déjà concédées dans le cadre de la mise en valeur puisque, selon les chiffres officiels, «si près de 800 000 hectares ont été théoriquement octroyés aux investisseurs, il n'y a que 200. 000 hectares qui sont en cours de mise en valeur.» Ce sont tous ces éléments à prendre en charge par l'office, cette structure administrative qui risque aussi de bloquer le chantier si les moyens ne sont pas mis à sa disposition. Un office attendu sur plusieurs fronts : apporter des conceptions et solutions au problème de financement des investissements agricoles, vulgariser les banques pour accompagner les investisseurs, suggérer des formules d'octroi d'avantages fiscaux et structurer un système d'encadrement du commerce agricole sont parmi les principaux points sur lesquels l'Office est attendu. Autrement dit, soutenir l'investissement dans la production des produits stratégiques pour garantir l'approvisionnement du marché national face à l'impératif de la sécurité alimentaire. Une charge très lourde à supporter dans le contexte actuel.