Gâteaux, narguilé et thé à la menthe : à Ghaza, les rituels conviviaux du Ramadhan ne doivent pas faire oublier la réalité. Celle d'une terre accablée par le blocus israélien et minée par les divisions entre les Palestiniens. L'abondance des marchandises et des produits de toutes sortes sur les marchés ne doit tromper personne. A Ghaza, le Ramadhan ne ressemble à aucun autre Ramadhan du monde musulman. Des milliers de nouveaux bacheliers arrêtés, à l'avenir bouché faute de pouvoir quitter l'enclave, des malades qui ne trouvent pas toujours les médicaments adéquats ni la prise en charge médicale nécessaire, des milliers de sans-abri victimes de la dernière guerre israélienne meurtrière de l'hiver 2008-2009 qui attendent toujours d'être relogés : voilà la réalité sociale de Ghaza. Un mois sacré au bruit assourdissant des groupes électrogènes très polluants mais indispensables pour tenir pendant les longues coupures de courant. Un mois sacré pendant lequel ni le blocus israélien, ni la pauvreté, ni le chômage, ni le manque d'eau potable (qui ne l'est plus depuis longtemps) ne connaissent de répit. Au marché d'El Zaouiya, près de la place de la Palestine, communément appelée Essaha, qui représente le cœur de la ville de Ghaza, on trouve pourtant de tout – les fruits et les légumes, les dattes très prisées durant le mois sacré, les chocolats, même les plus raffinés, les gâteaux orientaux…, – disponible en grandes quantités. Mais comme pour tous les Ramadhan passés sous le blocus., l'offre reste beaucoup plus importante que la demande. Les badauds sont nombreux mais les acheteurs sont rares, même si cette année, les prix sont plus abordables. Les cris, les vociférations, les chants improvisés par les vendeurs pour attirer la clientèle semblent vains. Chômage et pauvreté obligent, les Ghazaouis se promènent au marché pour passer le temps, surtout pendant ces journées de Ramadhan, particulièrement longues et chaudes. Rester à la maison sans électricité qui puisse au moins faire fonctionner un ventilateur est un véritable supplice, qui, avec le jeûne, devient quasiment insupportable. Blessures profondes En Palestine, il est difficile de trouver des citoyens politiquement neutres. Comme une majorité d'entre eux sont des sympathisants du Fatah ou du Hamas, la division entre les deux plus grandes forces de la scène palestinienne a des répercussions destructrices sur les relations sociales. Au mois de Ramadhan, la disharmonie dans le tissu social devient particulièrement évidente. Avant le putsch armé du Hamas, en juin 2007, c'est-à-dire avant que le sang palestinien ne coule dans les rues par des mains palestiniennes, les visites familiales entre voisins et amis s'intensifiaient au cours du mois sacré. Aujourd'hui, quatrième Ramadhan depuis les incidents sanglants de juin 2007 et malgré tous les coups communs reçus, à l'image de l'agression israélienne « plomb durci » de l'hiver 2008-2009, les choses n'ont guère bougé, à l'image de la vie politique. Beaucoup de frères ne se parlent toujours pas. Certains voisins se contentent d'un petit « Essalam alaykoum » pour pouvoir continuer de vivre côte à côte. Il n'est pas rare que des époux refusent de se rendre chez les familles de leur épouse parce qu'ils appartiennent au camp opposé. Dans la bande de Ghaza, le mois sacré du Ramadhan n'arrive malheureusement pas à guérir les blessures profondes des gens. Même s'ils font la prière ensemble dans des mosquées archicombles, « ce qui est dans le cœur est dans le cœur », comme le dit un proverbe palestinien. Les Ramadhan de l'après-juin 2007 ne sont plus les mêmes que ceux d'avant. Que ce soit pour leurs fréquentations, le choix de la mosquée, du mariage, du médecin traitant, et même du choix du lieu de divertissement et de détente, les Ghazaouis sont devenus intransigeants. Ils savent pour la plupart d'entre eux que cette situation est catastrophique pour l'avenir de leur cause nationale, mais il est clair que tant qu'un accord de réconciliation véritable n'a pas été conclu, socialement, les choses n'évolueront guère. Prêche partisan Pendant le mois sacré, quand on ne va pas au marché, on se rend… à la mosquée. Le rituel de la prière des taraouihs attire tout le monde : les pères, souvent accompagnés de leurs enfants, comme les femmes, de tous âges – et non plus seulement les « vieilles » comme il y a encore peu. Mais la vie spirituelle a été affectée par la division Fatah-Hamas (voir encadré). Certains fidèles choisissent ainsi d'aller faire leur prière dans des mosquées distantes de plusieurs kilomètres de leur domicile ! Certains imams, dont les prêches sont qualifiés de partisans, poussent même certains fidèles à fuir telle ou telle mosquée, à la recherche d'un discours plus équilibré ou du moins qui se limite aux questions purement religieuses sans aborder la politique. Dans des cas extrêmes, certains fidèles préfèrent prier chez eux. A la nuit tombée, une modeste vie culturelle s'anime. « Il y a beaucoup d'activités culturelles durant le Ramadhan mais elles ne bénéficient pas de médiatisation, explique Ahmad Yaakoub, membre du secrétariat permanent de l'Union des écrivains palestiniens. De jeunes talents tentent, malgré toutes les difficultés nées de la division inter-palestinienne et le blocus israélien, de présenter les produits de leur créativité, que ce soit dans le domaine littéraire, théâtral ou dans des arts comme la peinture ou la sculpture. » Les présentations ne se font pas dans de grandes salles mais dans des lieux publics, dont certains cafés-restaurants ou sièges d'organisations non gouvernementales, parfois des salles de fête privées, généralement devant des spectateurs intéressés par la culture. Les invités sont souvent mis au courant de la date et du lieu de présentation de telle ou de telle activité par le biais de la messagerie électronique. « La bande de Ghaza regorge de jeunes talents, mais la vie culturelle ne pourra évoluer sans édifices culturels et stabilité sociale, poursuit-il. Même si elle présente une matière pour certains travaux culturels, la division que l'on vit dans les territoires palestiniens représente une entrave importante au développement de la société et cette dure réalité doit nous pousser, tous, à créer une atmosphère propice au retour de l'unité nationale. »