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Du sens du patriotisme en Algérie
Publié dans El Watan le 02 - 07 - 2020

Hier, au lendemain de l'indépendance, les jeunes immigrés de seconde génération préféraient aller passer un dur service militaire de 2 ans en Algérie (alors qu'il était d'un an en France) plutôt que de renoncer à leur nationalité algérienne. Ils mettront un point d'honneur à honorer le combat de leurs parents pour l'indépendance de leur pays, même si, déjà, l'Amicale des Algériens en Europe n'avait plus rien à voir avec la Fédération de France de leurs parents.
Cette Amicale, inamicale, finira par disparaître corps et biens, et dans ce naufrage, tous les biens immobiliers acquis auparavant par la Fédération de France du FLN, grâce aux sacrifices et aux dons des travailleurs algériens de France et d'Europe s'évanouiront, sans que personne ne s'en émeuve !
Ces jeunes appelés participeront sans rechigner à l'édification du Barrage vert dans le Sud algérien dans les pires conditions ou à la construction des villages socialistes. Certains jeunes refuseront même de prendre la nationalité française, comme Rachid Taha qui mourra avec sa carte de séjour de travailleur immigré algérien ! On se souvient de l'engagement de ces jeunes lors de la loi Stoleru, adoptée sous le mandat de Giscard d'Estaing qui incitait les travailleurs immigrés à quitter la France et rendre leur carte de séjour pour 10 000 francs pour solde de tout compte.
Les jeunes militants de l'émigration traduiront en termes simples cette loi : «Prends 10 000 balles et casse-toi !». Leur combat aboutira à la fameuse marche pour l'égalité de 1983. Elle sera récupérée et détournée par François Mitterrand, via SOS-Racisme.
A l'époque, c'est-à-dire durant les années 60 à 80', certains de ces jeunes iront même faire leurs études en Algérie, s'y marieront et y feront leur vie. Il est vrai aussi qu'à l'époque, l'Algérie menait une véritable politique en faveur de la jeunesse algérienne en France : colonies de vacances en Algérie, offre de bourses d'études en Algérie et accès aux résidences universitaires, cours d'arabe assurés par des enseignants envoyés d'Algérie, dans les écoles et collèges en France, etc.
Aujourd'hui, cette politique est révolue, cette jeunesse se retrouve abandonnée dans des banlieues ghettos, sans qualification et sans perspective, seuls les islamistes, financés par les monarchies wahhabites du Golfe, y implantent leurs mosquées et y mènent leur travail d'embrigadement qui ne fait que les enfoncer.
Aujourd'hui, Monsieur Samir Chaabna, député représentant la communauté algérienne en France, nommé ministre délégué à la Communauté nationale à l'étranger, préfère renoncer à cette haute fonction plutôt que de renoncer à sa nationalité française. Il ne s'agit pas de le condamner, mais c'est bien triste. Un député de la Nation, et plus précisément de la communauté algérienne en France, qui aurait assumé avec conviction cette fonction, n'aurait jamais renoncé à une telle mission, quels qu'en soient les sacrifices.
Qui s'étonnerait que ce pouvoir continue à recruter ses cadres dans les sphères de l'ancien régime, sans même prendre la peine de vérifier leur passé ni de s'assurer qu'ils répondent vraiment aux critères de compétence, de probité et d'engagement qu'il prétend promouvoir ? Comment peut-on nommer une personne à si haute fonction sans prendre la peine de faire ces vérifications élémentaires ? Et comment peut-on prétendre changer de politique, en gardant le même système corrompu et en continuant à recruter dans les mêmes cercles par système de cooptation (minkoum wa ilaykoum) ? C'est triste que, dans le même temps, ce pouvoir passe son temps à interpeller les vrais patriotes, ces militants du hirak, pour atteinte à la sécurité de la Nation et autres graves accusations.
C'est triste qu'aujourd'hui, en Algérie, le patriotisme a perdu tout son sens, à cause de décennies de régimes politiques anti-démocratiques, opaques, policiers, corrompus et de plus en plus incompétents qui se succèdent et ne sont en définitive que de pâles copies des régimes précédents. Leur point commun est qu'ils ne se soucient que de durer quel qu'en soit le prix.
C'est triste qu'aujourd'hui, après un an de hirak, nous avons pu constater les effets du divorce entre une part importante de la jeunesse immigrée de 3e ou 4e génération et la lutte pour la démocratie dans le pays de leurs parents. Pendant un an, les manifestations hebdomadaires du hirak, qui avaient lieu dans la plupart des grandes villes de France et du monde, ne rassemblaient surtout que des Algériens récemment immigrés ou des jeunes étudiants venus d'Algérie. Heureusement qu'il y a eu l'exploit de l'équipe nationale en Coupe d'Afrique pour réveiller leur sens patriotique.
Mais à qui la faute ?
A ces diplomates de moins en moins diplomates, qui durant leur mandat se soucient bien peu de la défense des intérêts de l'Algérie et encore moins des intérêts des citoyens algériens et de la communauté algérienne de leur circonscription. Ils ne sont préoccupés que par leurs propres intérêts : obtenir la nationalité française à leurs familles ou au moins une carte de séjour, leur acquérir un appartement ou un fonds de commerce, avant de rentrer en Algérie, à la fin de leur mandat, en laissant leur famille en France, rassurés sur l'avenir de leur progéniture.
C'est à croire qu'eux-mêmes n'ont aucun espoir dans ce pays qu'ils sont censés servir et représenter ! Evidemment, ces naturalisations ou ces cartes de séjour sont obtenues par des compromissions avec les préfectures, en faisant profil bas quant à la défense des intérêts et des droits des ressortissants algériens en France. Ils sont devenus les moins bien protégés et les moins bien considérés de tous les ressortissants étrangers en France par les autorités françaises !
C'est triste, car ce sens patriotique s'est érodé au fil du temps, au fur et à mesure que la gangrène de la corruption et du népotisme gagnait les consulats.
En vérité, comme chacun sait, ce sens patriotique a connu des moments sombres dès l'indépendance. L'armée ne cessera de renforcer son pouvoir, d'abord avec le premier «redressement du 19 juin 1965», puis avec la déposition de Chadli Bendjedid en 1992 et la démission de Abdelaziz Bouteflika en 2020.
La décennie noire constituera une première grande fracture dans le sentiment d'unité nationale. Pour la première fois, un mouvement terroriste islamiste armé était prêt à détruire le pays pour imposer son projet théocratique et obscurantiste. L'intelligentsia du pays payera le prix fort la dénonciation de ce terrorisme barbare. C'est en partie grâce à la mobilisation des patriotes que le pouvoir de l'époque réussira à juguler ce terrorisme.
Puis ce fut la loi dite de concorde nationale imposée par A. Bouteflika à son arrivée au pouvoir qui enracinera durablement un sentiment d'injustice dans le camp des familles des victimes du terrorisme et des disparus et un sentiment d'impunité dans le camp des terroristes islamistes qui seront absous de leurs crimes aussi horribles soient-ils sans même un simulacre de procès.
Cette loi contribuera à maintenir un terrorisme résiduel en Algérie et, surtout, maintiendra chez les islamistes algériens le sentiment que leur combat est légitime et qu'ils sont toujours investis de la mission de sauvegarde des valeurs islamiques en Algérie.
D'ailleurs, leur discours actuel est sans ambiguïté : l'armée algérienne les a spoliés de leur victoire, ils se sont révoltés contre cette injustice, c'est l'armée qui est responsable de tous les crimes commis durant cette décennie noire et eux ont les mains propres ! Cette falsification de l'histoire ne pourra cesser qu'avec l'abrogation de cette loi et l'instauration d'un tribunal indépendant qui jugera les responsables des crimes commis durant cette décennie.
Les vingt ans de règne de A. Bouteflika et de l'affairisme au plus haut sommet de l'Etat et l'échec de la mobilisation populaire contre le 4e mandat a fait croire que la résistance citoyenne avait été définitivement vaincue. Personne au sein du système n'aurait parié sur la mobilisation du peuple pour mettre fin à cette mascarade et à la ruine du pays, mais le ridicule du 5e mandat de A. Bouteflika constituera un électrochoc.
Le hirak, malgré toutes ses insuffisances, avait réussi à surmonter tous ces clivages et à mobiliser la société civile algérienne qu'on croyait fracturée, déboussolée et découragée, autour d'objectifs consensuels : l'annulation du 5e mandat et la fin de ce régime mafieux. Le hirak maintiendra sa mobilisation pour un Etat de droit, civil et non militaire, envers et contre tout pendant plus d'une année.
Aujourd'hui que le hirak subit de plein fouet les effets démobilisateurs de ces mois de retrait contraints par les risques sanitaires, le pouvoir en profite cyniquement pour traquer et arrêter ses militants, juste pour l'expression d'une simple opinion sur les réseaux sociaux.
Les réseaux islamistes, un temps mis hors-jeu dans la rue par les manifestants du hirak, au nom de l'unité du mouvement, profitent de cette démobilisation et de leur plus grande maîtrise des réseaux sociaux et des médias sur le Net pour réactiver leur projet rétrograde et théocratique. Des attaques concomitantes sont menées par le pouvoir et par les islamistes contre les partis démocratiques. N'est-ce pas surprenant ?
Pourtant, à son arrivée au pouvoir, le président de la République lui-même, en quête de légitimité, avait loué l'action du hirak. Aujourd'hui, rien dans la politique actuelle du pouvoir ne nous donne de signe que ce régime est prêt à abandonner le système politique précédent et ses méthodes, notamment les arrestations de militants pacifiques du hirak.
Le lien patriotique réanimé par une année de mobilisation continue du hirak résistera-t-il à cette léthargie imposée par la Covid-19 et entretenue par le pouvoir ? Il appartient à toutes les forces démocratiques de se saisir de tous les moyens d'expression possibles pour entretenir la flamme du hirak, réaffirmer l'objectif principal du hirak, à savoir un Etat de droit, dénoncer les arrestations abusives du pouvoir, les discours haineux des islamistes, et opérer les décantations qui s'imposent !
A quelques jours de la commémoration de la fête nationale de l'indépendance du 5 juillet 1962, cette politique autiste du pouvoir et les arrestations de militants et de patriotes de tous horizons laissent un goût amer à cette date historique !
Mouloud Haddak
Chercheur en environnement, transport et santé Paris, France
Paris, le 29 juin 2020.


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