Entretien r�alis� par Kamel Amarni Ancien ministre des Transports dans les gouvernements successifs de Ahmed Benbitour et de Ali Benflis de d�cembre 1999 � mai 2001, Hamid Lounaouci est �galement un militant de la premi�re heure pour le projet d�mocratique et r�publicain. Un parcours politique d�une trentaine d�ann�es, entam� au tout d�but des ann�es quatre-vingt au sein du Mouvement culturel berb�re (MCB), avant de rejoindre le Front des forces socialistes dont il finira secr�taire g�n�ral mais qu�il quittera en guise du soutien impos� au FFS par Hocine A�t Ahmed aux islamistes du FIS, pour rejoindre le Rassemblement pour la culture et la d�mocratie. Elu d�put� en 1997 puis en 2007, il occupera plusieurs fonctions � l�Assembl�e comme au parti. Il d�cidera n�anmoins de prendre du recul par rapport � la vie partisane organique sans pour autant se d�connecter de l�actualit� politique, nationale et internationale. Loin s�en faut, comme l�on se rendra compte � travers cet entretien o� il d�crypte froidement mais avec une telle finesse, la situation politique tr�s complexe pr�valant en Alg�rie et alentour� Le Soir d�Alg�rie : L�Alg�rie vient de conna�tre deux �lections fortement marqu�es, selon certains acteurs politiques, par l�abstention et la fraude. Quelle lecture en faitesvous ? Hamid Lounaouci : Dans une situation normale, une �lection est un moment de convergence entre une classe politique et des citoyens impliqu�s dans le destin de la communaut� nationale. Le premier enseignement que l�on peut tirer de ces �lections, c�est, �videmment, le peu d�int�r�t qu�elles auront suscit�. Ce ph�nom�ne n�est pas nouveau et les raisons essentielles sont � rechercher, en grande partie, dans le pass� tr�s r�cent de notre pays. Souvenons-nous d�ailleurs que, mis � part l��lection pr�sidentielle de 1995, le taux le plus �lev� a atteint 47% lors des l�gislatives de 1991, alors que m�me l�engouement pour la politique �tait � son niveau le plus �lev�. Sur le plan de la gen�se de ce ph�nom�ne, rappelons que la crise �conomique et sociale de la fin des ann�es 80, va r�v�ler l�improvisation et l�inop�rance des politiques men�es par un personnel programm� pour le contr�le et l�embrigadement plut�t que pour l�anticipation et la rigueur. La chute du pouvoir d�achat, le sentiment d�injustice et d�abandon finiront par cr�er un foss� important entre les dirigeants et une population tenue � l��cart de son propre destin. Les �lites ou les segments de la soci�t� r�put�s comme tels, qui auraient pu �tre un liant social ou m�me le moteur d�une structuration citoyenne, sont en majorit� absentes. Sans rep�res, sans recours, la population r�pondra par les seuls instruments qu�elle ma�trise : la contestation et le refus de tout ce qui �mane de l�Etat, notamment la participation aux �lections. Un sursaut tout de m�me, lors de la lutte anti-terroriste o� des segments entiers de la population, une partie de la classe politique, les m�dias et les services de s�curit� se retrouveront dans une m�me mobilisation patriotique. Les taux de participation aux �lections de 1995 signent avec �clat cette confiance retrouv�e. Elle sera de courte dur�e. Les institutions �lues qui auraient pu �tre une voie d��mancipation politique et citoyenne sont redevenues des lieux o� se signent les all�geances. En r�action, la d�fiance populaire reviendra aussi. C�est dire que ce ph�nom�ne qui perdure, ne cessera que lorsque les scrutins seront libres et honn�tes et que la classe politique en redeviendra une avec des cadres et des militants et non comme c�est le cas aujourd�hui, des rassemblements h�t�roclites d�individus flairant �le bon coup�. Ces �lections se sont tenues dans un climat r�gional tr�s tendu. Cela a-t-il eu des cons�quences dans notre pays ? Peu en v�rit�. Rappelons tout de m�me que les r�voltes en Tunisie, au Y�men et en Egypte, dans tous les cas chevauch�es par les islamistes, ont install� des climats de guerre civile � nos fronti�res. Ce que d�aucuns ont nomm� �printemps arabe� s�est r�v�l� tr�s vite �tre le tombeau des libert�s pour lesquelles se sont sacrifi�es des milliers de personnes. Mais pouvait-il en �tre autrement lorsqu�on sait que les seuls segments organis�s de la soci�t� et qui b�n�ficient de l�aide ouverte de certaines p�tromonarchies, sont les groupes les plus radicaux de l�islamisme. Nous connaissons tr�s bien cela en Alg�rie, comme nous connaissons, aujourd�hui, le r�sultat de ces r�voltes : une instabilit� qui tend vers la chronicit� que les Alg�riens connaissent et redoutent. Puisque vous parlez de cons�quences, je pense que ce climat d�l�t�re a provoqu� une r�action des pouvoirs publics, pr�sident en t�te, par l�annonce d�une s�rie de r�formes. Pour ma part, je persiste � croire que si l�Alg�rie a �t� �pargn�e par ce s�isme, ce n�est ni parce que des financements importants ont �t� mobilis�s pour les jeunes, ni parce que de nouveaux partis ont �t� agr��s, ni parce qu�une �politique g�n�reuse� de distribution de logements a �t� mise en place. La raison tient au fait que toute une g�n�ration d�Alg�riens est traumatis�e par la violence et tient en suspicion ces r�voltes spontan�es, lass�e qu�elle est par le d�tournement de sacrifices souvent pay�s dans le sang. On comprend d�s lors, pourquoi la contamination n�a pas fonctionn� et pourquoi elle n�a pas influ� sur le cours et les r�sultats de ces �lections. Comment expliquez-vous que les islamistes aient sombr� lors de ces consultations ? D�abord je rel�ve que ces partis n�ont d�nonc� la fraude que du bout des l�vres. Les raisons du d�saveu qui les a frapp�s est � rechercher dans leur implication dans l�exercice du pouvoir depuis plus de 15 ans, des pi�tres performances de leurs �lus locaux, comme dans les contestations internes qu�ils ont connues. Il est vrai que les promesses de paradis ne tiennent pas lorsqu�on g�re une APC ou un minist�re. C�est aussi dans ces r�sultats qu�on peut lire que m�me �boost�s� � l�euphorie de la victoire islamiste dans les pays voisins, ils n�ont pas pu enjamber la m�fiance de la population � leur �gard. Au regard de l�ensemble des r�sultats, pensez- vous que la multitude des partis politiques nouvellement agr��s a chang� la carte politique nationale ? Ce n�est pas le moindre des paradoxes alg�riens. Le refus d�agr�er des partis politiques est ill�gal et m�me anticonstitutionnel, permettre leur constitution, c�est ouvrir la bo�te de Pandore d�o� surgissent plus de maux qu�il n�y en avait � combattre. Car, objectivement, quelques structures mises � part, d�o� viennent ces partis ? Repr�sentent-ils un courant de pens�e, une �cole �conomique, une opposition qu�on nous a cach�s pendant des d�cennies ? Tout le monde sait que non. C�est pour l�essentiel des organisations fantoches, qui n�ont retenu de l�exercice de la politique que le c�t� pervers qui commence � faire �cole dans notre soci�t�. La rapine et la corruption, souvent d�ailleurs accol�es � des profits d�lirants, contribuent � installer, dans de nombreux cas, aux commandes des assembl�es �lues, des satrapes qui annihilent tout espoir de d�veloppement, de service public ou tout simplement d�am�lioration du cadre de vie. Sans base militante, sans programme, sans m�me une id�e de ce qu�est la politique, cette caricature de vie d�mocratique empoisonne et d�cr�dibilise encore plus la classe politique. Cette improvisation burlesque de partis rachitiques ayant naturellement contribu� � reconduire les segments habituels aux commandes des institutions, aboutit � un r�sultat assez cocasse : un pluralisme de droit, une h�g�monie de fait, voil� mon commentaire. Vous appartenez � la g�n�ration qui a �t� � l�avant-garde du combat pour la d�mocratie, la libert� et les droits de l�Homme, quel poids repr�sente, selon vous, aujourd�hui ce courant dans le pays ? Je tiens d�embl�e � pr�ciser que je ne regrette rien de mes engagements au MCB, � la Ligue des droits de l�Homme ou les deux partis que sont le FFS et le RCD. C�est une exp�rience peu commune pour qui sait mesurer les nombreux sacrifices que cela implique pour les militants. C�est aussi, malheureusement, des lieux o� le pouvoir solitaire de la d�cision politique, du pouvoir de d�signation et de limogeage est une constante largement partag�e. Sur un plan plus politique, je d�plore que le potentiel de d�mocratie et de modernit� port� par de nombreux militants et qui repr�sente une aspiration pour de larges pans de la soci�t�, n�ait pas pu trouver un prolongement � l�int�rieur m�me des structures. L�instabilit� organis�e des cadres, l�outrance dans le discours et les d�cisions erratiques sont autant de facteurs endog�nes qui ont brouill� l�image de ce courant. Le r�sultat est sans appel : une influence dans la soci�t� relativement faible et des scores �lectoraux en de�� du potentiel suppos�. Les coups de boutoir du pouvoir et l�ostracisme dont ont �t� victimes ces partis, sont une partie de l�explication, ils ne sont pas toute l�explication. Quoi qu�il en soit, je mesure avec lucidit� � quoi la Nation alg�rienne a �chapp� au d�but des ann�es 90 et le chemin qui reste � parcourir pour que des institutions ayant comme vertu cardinale une v�ritable ambition pour le pays, se mettent en place. Nous sommes probablement � la veille de grands bouleversements induits de fait par ce qui agite la sc�ne mondiale et notamment r�gionale, il appartiendra � chacun de se d�terminer selon sa conscience. Abdelaziz Bouteflika annonce une prochaine r�vision en profondeur de la Constitution. En tant que cadre ayant exerc� une responsabilit� dans l�ex�cutif, quels sont pour vous les vrais enjeux de cette r�vision, sachant que l�on parle d�j� de consolidation du r�gime pr�sidentiel � deux mandats de sept ans et la cr�ation d�un poste de vice-pr�sident ? Hors indiscr�tions ou points de vue de journalistes, je n�ai � ce jour aucune id�e concr�te de ce qui va �tre touch� par cette r�vision. Je peux vous r�pondre qu�une constitution, quelle qu�elle soit, ne vaut que par l�application qui est faite des dispositions qui y sont contenues. Cependant, il faut pr�ciser que ce n�est pas la nature du r�gime, qu�il soit pr�sidentiel ou parlementaire, qui fait ou non la d�mocratie. L�un comme l�autre peuvent accoucher d�une dictature. Pour ma part et en raison de l��tat actuel de la classe politique et de la soci�t�, un r�gime parlementaire strict me para�t �tre porteur de graves d�rives. Cependant, le v�ritable enjeu se situe dans la constitution et dans le dispositif l�gal qui encadre toutes les hautes fonctions. A ce titre, alors que l�Alg�rie f�te le cinquanti�me anniversaire de son ind�pendance, le pr�sident de la R�publique peut saisir l�occasion pour une r�forme qui installe d�finitivement la Nation et l�Etat alg�riens hors des vicissitudes du temps et de l�humeur des hommes. Il a le pouvoir et la responsabilit� de hisser l�Alg�rie au rang d�un v�ritable Etat de droit. Le respect et la promotion des droits de l�Homme, l��galit� des citoyennes et des citoyens, la libert� de culte et les moyens juridiques de sa protection doivent constituer le socle du chapitre organisant les libert�s. Le r�le de l��cole, comme lieu de savoir, d�acquisition de la connaissance et de civisme, devra d�finitivement �tre �nonc� et les enfants mis � l�abri des influences politiques et id�ologiques. La justice, objet de courroux populaire l�gitime, doit subir une mue totale pour n��tre qu�une institution qui rend le droit au service exclusif du citoyen. J�ai conscience que cela a �t� dit et redit, mais il existe toutefois des p�riodes qui peuvent �tre plus propices que d�autres pour porter le changement vers le mieux. Concernant le retour � deux mandats, j�estime que la limitation est en soi une vertu. Notre pays ne vit pas en vase clos et les changements qui bouleversent la carte g�opolitique mondiale impactent in�vitablement notre soci�t� et nos institutions. L�alternance, surtout � ce niveau de responsabilit�, est une exigence de l�Etat moderne auquel nous aspirons. L�allongement de la dur�e du mandat pr�sidentiel et la cr�ation d�un poste de vice-pr�sident me donnent � penser que ce qui est recherch� c�est des dispositifs politico-juridiques destin�s � mettre en place une plus grande stabilit�. Le poste de vice-pr�sident quant � lui proc�de de la m�me logique : la stabilit�. N�oublions pas que dans les ann�es 90, l�Alg�rie s�est retrouv�e sans aucune institution �lue pendant pr�s de 4 ans. Il y a quelques ann�es de cela, l��tat de sant� du pr�sident avait suscit� d�bats, controverse et provoqu� une inqui�tude au sein de la soci�t�. J�avoue, cependant, que ce qui me pr�occupe le plus, c�est l�encadrement constitutionnel de toutes les fonctions d�Etat. Quelques mois nous s�parent des prochaines pr�sidentielles. Des voix commencent d�j� � s��lever qui pour demander un 4e mandat, qui pour �vendre� d�autres candidatures. Pensez-vous que Bouteflika serait tent� par un autre mandat ? Vous me demandez de faire de la divination. La chose que je retiens et qu�il me semblait avoir comprise c�est que le train des r�formes initi�es par le pr�sident devrait trouver son aboutissement avec la r�forme de la Constitution. L�instrument des hommes politiques �tant la parole, je m�en tiendrais l�. Je constate, par ailleurs, qu�aucun candidat r�put� potentiel ne donne des signes, m�me de pr�-engagement. Peut-�tre est-il trop t�t. Le Nord-Mali est occup� depuis plus de 8 mois par diff�rentes factions islamistes qui y s�ment d�solation et terreur. L�Alg�rie court-elle un r�el danger et quel est selon vous l�approche qui garantirait la s�curit� du pays ? De fait pour des raisons aussi bien �conomiques, politiques que communautaires, la r�gion du Sahel est marqu�e par une instabilit� qui n�est pas nouvelle. Dans les ann�es 70, l�Alg�rie avait d�velopp� une politique africaine aussi bien en direction des hommes politiques qu�en direction des populations de cette r�gion. Aide humanitaire et �conomique, formation de cadres dans les universit�s alg�riennes, pr�sence active de nos ambassades, ont contribu� � faire de notre pays un partenaire incontournable et �cout� dans cette r�gion. L�abandon de cette politique � partir des ann�es 80 s�est aggrav� avec la chute brutale des ressources et l�explosion du terrorisme. Vingt ans d�absence sur cette sc�ne r�gionale ont r�duit le poids et l�influence de notre pays, au profit de vat- en-guerre, notamment Kadhafi. Mais la crise paroxystique qui touche actuellement le Mali est la cons�quence directe de ce qui s�est pass� en Libye. L�intervention militaire des forces de l�OTAN a permis de faire tomber le r�gime de Kadhafi, mais a lib�r� un march� gigantesque d�armes (y compris lourdes) accessibles � tous les groupes terroristes. Ce que les strat�ges appellent �le coup d�apr�s� a �t� volontairement ou involontairement ignor�. La solution militaire qui semble, aujourd�hui, s�duire certains y compris � l�int�rieur du pays, n�est certainement pas dans notre int�r�t. Il appartient � l�ensemble des institutions concern�es par le probl�me de mobiliser leurs ressources pour qu�une solution politique n�goci�e soit trouv�e. Reste le probl�me des groupes li�s � El-Qa�da auquel il faut r�server un traitement particulier. Je le r�p�te, et c�est ma conviction, qu�un conflit arm� � nos fronti�res sud peut avoir des cons�quences impr�visibles. Des dizaines de milliers de r�fugi�s et les risques de �contamination� ne sont pas les moindres des dangers.