Le XXe siècle fut témoin d'une des plus grandes expériences de l'humanité : la mise en œuvre des expériences socialistes dans de nombreux pays en vue de réaliser le passage à l'étape communiste ultérieurement. Les ex-pays de l'Est, la Chine et Cuba en furent les principaux acteurs. Mais de nombreux pays du tiers-monde avaient vécu des expériences socialistes inspirées du marxisme, sans pour cela vouloir construire une société communiste. Un tel phénomène historique ne sera jamais totalement compris. On aura devant nous encore des milliers de recherches et d'ouvrages sur le sujet sans jamais l'épuiser. La complexité des faits et des contextes sont si considérables qu'il faille utiliser toutes les connaissances des sciences sociales pour pouvoir comprendre une petite parcelle des développements qui eurent lieu durant la période 1917-1989. Un scientifique isolé qui ne fait pas usage de l'incroyable interrelation de toutes les sciences ne va saisir qu'une partie infime de la réalité. Tout comme un marxiste qui ne raisonne qu'avec les concepts produits par Karl Marx va saisir encore beaucoup moins les développements réels de cette riche période historique. Mais la complexité n'exclut pas que nous ayons déjà quelques indications sur ce qui s'est passé. Il est important de bien diagnostiquer la situation afin de ne pas refaire les mêmes erreurs dans le futur. L'Algérie s'est beaucoup inspirée de l'idéologie marxiste même si on a gardé des spécificités nationales. D'ailleurs, à l'époque on parlait de socialisme spécifique. Aspects politiques et sociologiques La débâcle communiste laissa perplexe les économistes de gauche emprisonnés dans un schéma de pensée et des modèles conceptuels qui n'arrivent pas à saisir la complexité de la dynamique moderne. Ne sachant à quel saint se vouer, ces économistes commençaient à faire pleuvoir les traditionnels si : «Si seulement on avait toléré plus de libertés, opéré moins de répressions en Tchécoslovaquie, si on avait écouté Trotsy au lieu de Staline, si on avait suivi le peuple et purgé les partis communistes des éléments antirévolutionnaires etc.» Chaque Marxiste avait son vecteur de si composés de dizaines de vœux pieux. Mais les résultats auraient été les mêmes. Toutes ces «erreurs» ne sont pas causées par des hasards historiques mais produites par une réalité scientifique incontournable : nous ne savons pas comment organiser une société avec unicité de pouvoir (parti unique) sans produire une nomenklatura qui monopolise et oriente l'économie et la politique pour ses propres intérêts. Marx a été plus naïf que les autres socialistes qu'il traitait d'utopistes. Le monopole du pouvoir induit inexorablement des déviations et des dangereux dérapages. Nous n'avons ni les règles ni les principes scientifiques pour les éviter. Croire qu'une «conscience de classe» va émerger et transcender la nature humaine de tirer profit de chaque parcelle de pouvoir est l'utopie extrême. Telle est la «loi» que l'humanité semble tirer de l'expérience des régimes socialistes. Il est curieux de constater que les grands économistes font l'erreur de considérer que l'humanité arrivera à régler définitivement ses problèmes grâce à des doctrines spécifiques qui en fait sont encore très rudimentaires. On se souvient de Keynes qui pensait qu'avec l'intervention publique et le retour à l'équilibre macroéconomique, on réglera définitivement les problèmes économiques et les humains vont se consacrer à l'art, aux sports et des activités plus souhaitées. Mais Marx commit un délit encore plus grave : le rejet de la religion sur des bases très futiles. Elle serait un élément de la superstructure (avec les arts, le droit, la littérature, etc.) qui évolue en fonction de la structure (réalité, surtout économique). Or, le débat sur la religion est beaucoup plus profond et beaucoup plus sérieux que cela. Il se situe aujourd'hui sur le début de création de la matière (Big Bang), l'incroyable exactitude des spécifications des paramètres de la vie, le multivers et les abondantes masses d'information dans le vivant (l'ADN de la cellule) qui ne peuvent provenir que d'une intelligence suprême etc. D'ailleurs, l'athéisme est scientifiquement en pleine débâcle (voir Stephen Meyer : The Return of the God Hypothesis). A la lumière des récentes découvertes scientifiques, l'analyse marxiste de la religion devient trop superficielle pour être prise au sérieux. Aspects économiques Les entreprises des secteurs civils des ex-pays de l'Est, protégées de toute compétition, et rassurées quant à leur pérennité, avaient développé d'extraordinaires rigidités humaines et technologiques. Les ressources consommées par unité d'output étaient manifestement excessives. Mais l'organisation économique désuète et l'excès de pouvoir administratif n'avaient ni l'autorité ni le courage de s'attaquer de front à ces cultures d'entreprises très en retrait par rapport aux normes d'efficience mondiale. Certes, il n'y avait pas de chômage mais d'innombrables employés étaient payés à ne rien faire. La hausse des prix était «maîtrisée» grâce aux décisions administratives qui perpétuaient le marché parallèle et permettaient à la nomenklatura de se procurer plus facilement les produits à très bas prix. Les disparités de revenu étaient statistiquement peu significatives mais des rémunérations faramineuses n'étaient pas comptabilisées (résidences, véhicules, voyages). De récentes études estiment que le niveau des inégalités serait égal à celui des pays capitalistes (voir les travaux de Piketty). On disait alors : «Dans les pays capitalistes on subi l'exploitation de l'homme par l'homme. Dans le système socialiste c'est le contraire.» Mais il ne faut pas nier que durant les premières années, il y a eu de véritables améliorations des niveaux de vie en mobilisant toujours plus de ressources (terres, matières premières, travail des femmes etc.). Mais le problème se posait plus tard lorsqu'il faillait croître en améliorant l'innovation et le management au lieu de rajouter des facteurs de production. Après une amélioration de la satisfaction des besoins de base, les populations allaient réclamer autre chose : liberté de s'épanouir et de décider. Or, les régimes communistes offraient à des populations de plus en plus instruites une solution unique et incontournable (le communisme) au lieu d'alternatives à explorer ; tout cela au nom du matérialisme historique dans lequel les choix humains sont extraordinairement figés. S'il était permis d'enrichir la voie devant mener au communisme, il était banni de contempler une autre alternative ou projet de société. La révolte contre une solution humaine érigée en dogme divin et la résurgence de problèmes sociaux liés à la chute de la croissance allaient inciter la classe ouvrière à réclamer de réformer le système. Le prolétariat, tombeur du communisme, était supposé être l'artisan de la mission historique de construire la société communiste. Maslow avait raison et Marx avait tort. Dès la satisfaction des besoins physiologiques, les êtres humains grimpent la pyramide des besoins pour demander autre chose : liberté de penser, de créer, de s'auto accomplir, de choisir, d'être religieux ou pas et de construire avec d'autres l'alternative qu'ils choisissent, pas celle que Karl Marx avait prédit pour eux et qui s'avérait plus problématique que le capitalisme. Ce dernier connaît lui aussi des problèmes qui deviennent de plus en plus insurmontables. Mais la solution n'est certainement pas une société avec un monopole de pouvoir. Par Abdelhak Lamiri PH. D. en sciences de gestion