Quand la misère nargue AznavourA mi-chemin entre Beni-Haoua et Ténès, à quelque 180 km à l'ouest d'Alger, se niche une merveille de plage du nom de Boucheghal. Inutile de dire que ce site féerique et sa plage luxuriante sont sous-exploités. Boucheghal (Ténès). De notre envoyé spécial. Et si le mirifique rivage draine encore quelques inconditionnels du farniente et de la bronzette en ce mois de disette, un petit hameau perché sur une crête dominant le magnifique rivage semble avoir un tout autre rapport à la mer. Dénommé Cheleh, le douar porte bien son nom puisque ses habitants y parlent le berbère « chalhi ». Nous l'avons découvert tout à fait fortuitement, à la faveur d'une déviation coupant la RN11 pour cause de travaux. Et de tomber nez à nez sur une colonie de mômes proposant des victuailles au bord de la chaussée. Il tombe sous le sens que le quotidien de Ahlem, Hamida, Ali et leurs camarades n'a rien d'une colonie de vacances. Car contrairement à leurs congénères qui barbotent dans l'eau en contrebas du hameau, ils n'ont pas droit, eux, à de vraies vacances scolaires. Planqués sous des abris de fortune confectionnés à base de brindilles de paille, de branchages d'arbres et autres cartons, les voici postés le long de la piste vicinale et proposant « matloû », figues, figues de Barbarie, articles de poterie, fruits d'amandes et autres graines de pin, le tout à des tarifs dérisoires. « Mon père est pêcheur. Je suis ici chez mon oncle. C'est lui qui m'a fabriqué cette hutte. Je me fais un peu d'argent en attendant la rentrée. Cela me permet d'aider mon père qui ne travaille pas beaucoup. Je gagne parfois 1000, 1500 DA par jour, hamdoullah », témoigne Ali, 14 ans, coiffé d'un bob et vêtu d'une tenue de l'équipe nationale. Quid des plaisirs balnéaires ? « La mer ? Je n'ai pas le temps pour ça. Je travaille de 9h à 16h. Mais le vendredi, je me permets une trempette », poursuit-il d'un ricanement espiègle. Ahlem, 8 ans, arbore une casquette aux couleurs des Verts et barrée de l'inscription « Algérie ». Ahlem vient de passer à la troisième année primaire et nous dit qu'il n'y a pas de transport pour l'emmener à l'école de Boucheghal. Elle doit ainsi parcourir à pied la pente raide qui sépare la maison de l'école. Ammi Merouane, un habitant du douar, accourt. âgé de 75 ans, une casquette vissée à la tête, il revient de la plage. « J'ai dû me baigner en mer et y laver mon linge. Nous manquons cruellement d'eau. D'ailleurs, sachez qu'ici, on achète l'eau qu'on boit », lâche-t-il d'emblée. L'homme se plaint de la traditionnelle flambée des prix inhérente au Ramadhan. « Je touche une retraite de 5400 DA et j'ai sept personnes à charge. Comment tenir avec une retraite aussi ridicule ! » fulmine-t-il. Généreux, il insiste toutefois pour nous faire offrande d'un pot métallique contenant des noyaux d'amandes, et que son neveu Ali vend habituellement à 100 DA. « Vous savez, ici, nous n'avons jamais vu, ni la France, ni les terroristes, ni personne. Les moudjahidine venaient se réfugier chez nous tellement ils étaient assurés que personne ne pourrait les débusquer. » C'est dire l'enclavement de ce hameau solitaire. Un vrai petit coin de paradis mâtiné de misère qui nous fait fatalement penser à cette chanson d'Aznavour : « Emmenez-moi au pays des merveilles/Il me semble que la misère/Serait moins pénible au soleil ». C'est peut-être le secret du sourire de Ahlem qui trouve, malgré tout, la force de narguer sa condition du haut de sa casquette chevillée à ses rêves.